Je est un autre
Le 19 mars 2003
Roman déjanté, prose déglinguée tout en musique. Avatars de la folie ordinaire.


- Auteur : Frédéric Joignot
- Editeur : Flammarion
- Genre : Roman & fiction

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Fabrice Bélial, personnage à multiples facettes... C’est son psy qui raconte le pourquoi du comment, avant la dégringolade, la chute vers l’enfer, le point de non-retour. Il nous explique combien Fabrice dépend de multiples personnalités qui se manifestent en fonction des situations. Il s’agit de schizophrénie normale, induite, innée, incontournable, inévitable, ordinaire... Plusieurs masques se substituant les uns aux autres.
Fabrice est journaliste, se balade aux quatre coins de la planète, poussé par Taïaut, celui qui est prêt à braver tous les dangers pour un reportage béton. Taïaut ou le speedé du bouclage, la conscience de l’investigation. Quand Fichelecamp décide de larguer les amarres, Fichelecamp incapable de tenir en place, Fichelecamp ou l’appel de la liberté, de l’ailleurs...
Depuis qu’il est gamin, ces autres le hantent, prennent le dessus... Grizz qui le poussait à mater sous les jupes des filles. Grizz qui lui fait franchir la porte des bordels, lui souffle de payer pour quelques instants de plaisir. Grizz qui le flanque dans des situations pas possibles. Mona, Mélanie, Estrella... Passe de l’une à l’autre, incapable de se raisonner, Grizz ou l’appel de la chair et du vice. C’est Lilith, la muse maléfique qui consigne son intimité la plus secrète, Lilith qui prend le commandement des opérations quand l’envie d’écrire se fait plus forte que tout... Il y a Sérieux, celui que Fabrice a rebaptisé Realpolitik. Real fait la part des choses, lucide, souffleur d’oreille, grâce à lui que Fabrice ouvre parfois un peu plus grand les yeux...
Tous cohabitent, se manifestent sans prévenir. Ces avatars le guident, choisissent, incontrôlables, puissants. Prose totalement débridée, style déglingué, dépendant de ces personnalités sommeillant en dedans. Quand Fabrice est chargé de rédiger un papier sur la vie nocturne à Paris pour Fusée, il se lance sur la piste d’un trafic de prostituées africaines. Il va remonter la filière, poussé par Taïaut, raisonné par Real, s’immerger dans le monde de la nuit où se côtoient vip de la télé et jet-setteurs aux narines pleines de poudre.
Plus encore que le tableau d’un milieu où se tirer dans les pattes constitue un sport de tous les instants, ce roman reflète le malaise d’un personnage en proie au doute permanent, pose la question du choix, de nos petits démons. De ceux qui se fichent au creux de notre épaule pour nous dicter la marche à suivre et qu’on écoute... Roman violent, étonnant, prenant, surprenant. Fabrice Bélial, individu obéissant à son instinct ou à la raison, le pour le contre, le bien le mal, on mélange pour ne faire qu’un. Roman d’un schizophrène ravagé mais tellement ordinaire. Car c’est bien en ça qu’il nous touche et nous concerne.
Frédéric Joignot, Avatars, Flammarion, 2003, 446 pages, 20 €