Suite à l’exposition Dada au centre Pompidou qui a eu lieu l’hiver dernier, les éditions Hazan publient un magnifique livre retraçant l’effervescence et la richesse de ce mouvement intellectuel et artistique dont l’existence officielle s’étend de 1916 à 1925 mais dont les influences sont toujours vivaces.

Du fait de la guerre, des intellectuels de diverses nationalités vont se retrouver à Zurich, ville de passage et ville cernée par la mort, pour rendre la vie, dans tout ce qu’elle a de bouillonnant, de foisonnant, de jovial et d’espérances, à l’humanité. Nous sommes en 1916. Physiquement à l’abri des bombes, mais profondément révoltés par la boucherie en cours et le système capitaliste qui en a porté les germes, Hugo Ball, Tristan Tzara, et Jean Arp entre autres, vont, dans l’antre du Cabaret Voltaire, offrir le signe d’une renaissance dans un élan artistique sans concession et révolutionnaire : le mouvement dada. Tristan Tzara le définissait ainsi : "Ce que nous voulions c’était faire table rase des valeurs en cours, mais au profit, justement des valeurs humaines les plus hautes."
Dada se voulait un art compréhensible par tous du fait de son abstraction, un langage neuf entre les peuples comme moyen d’accéder à la liberté de l’Homme, un art naïf, pur, naturel et intuitif avec la volonté d’associer problèmes artistiques et politiques. Mais la contestation culturelle de Dada se manifestait avant tout par la truculence provocatrice et la dérision. Marc Dachy, le commissaire d’exposition, nous offre, avec intelligence et fidélité, une plongée passionnante dans cet embrasement intellectuel. Dans l’introduction à l’ouvrage, il explique : "Ces archives sont une arme « contre l’oubli organisé », pour la vie et la liberté à réinventer." Il s’agit à travers ce livre volumineux, de retrouver la vitalité de l’esprit dada. Le principe donnera d’ailleurs sa forme hélicoïdale à l’ouvrage.
L’ouvrage part de Zurich, où l’on apprend la genèse et l’origine du nom, et se déploie à travers les différentes villes clés du mouvement dans sa période faste : 1916-1925. Marc Dachy spécifie par une courte présentation l’apport de chacune à l’enrichissement de Dada. On passe ainsi du dada berlinois, moins esthétique mais plus subversif sur le plan social que celui de Zurich et dans lequel Hannah Höch a vulgarisé le photomontage, au dada parisien où Tristan Tzara, l’individualiste et chantre de la transdisciplinarité, se confrontera à un groupe littéraire mené par Breton, puis au dada new-yorkais de Man Ray avec la création du rayographe et le ready made de Duchamp...
Pour chaque partie, Marc Dachy a soigneusement apposé témoignages, extraits de manifestes, de comptes-rendus de soirées, de prises de gueules et de déclarations malveillantes ou amicales à une iconographie conséquente, en prennant soin d’accorder une place prépondérante au texte. Dans la partie intitulée "Post-Dada", il revient sur les protagonistes du mouvement et offre leurs visions de ce qu’ont été le mouvement et ses prolongations ou évoque le destin de certains de ses protagonistes comme Raoul Haussmann, héraut du dada berlinois, qui a vécu quasi incognito jusqu’à sa mort en 1971. L’ouvrage se clôt sur une chronique : démarrant en 1912 avec Marcel Duchamp pour se terminer en 1968 avec le même Duchamp, elle dessine l’écho de Dada à travers le monde et prouve, si besoin était, que cet esprit libertaire, s’il peut-être parfois en sommeil, est essentiel et inhérent à l’homme pour peu qu’il en prenne conscience. Marcel Janco déclarait : "il [Dada] subsiste et subsistera aussi longtemps que la négation contient le ferment de l’avenir". Dada est mort, Vive Dada !