Le 24 août 2020
- Scénariste : Léonie Bischoff>
- Dessinateur : Léonie Bischoff
- Genre : Biographie
- Editeur : Casterman
- Date de sortie : 26 août 2020
Voici le premier roman graphique consacré à l’écrivaine Anaïs Nin, couvrant la période de l’entre-deux-guerres, de 1928 à 1934, mis en couleur et scénarisé par la talentueuse auteure Suisse Léonie Bischoff.
Résumé : Anaïs Nin est une auteure née en 1903. Sa mère, mariée à un pianiste compositeur cubain, elle décide de quitter la France avec ses autres enfants afin de leur assurer une vie plus aisée. La petite Anaïs n’a alors que onze ans et elle décide d’arrêter l’école trois ans plus tard. À partir de ce moment, elle n’a de cesse de coucher dans un carnet ses journées avec obsession. Elle écrira également de nombreuses lettres à son père - qui ne reviendra jamais au sein du foyer - mais qu’elle ne lui enverra jamais. Lorsqu’elle se marie en 1923, elle retourne vivre en Europe et débute alors une vie mouvementée dans le Paris de l’entre-deux-guerres.
Léonie Bischoff nous a accordé un entretien à la veille de la sortie de son roman graphique dédié à l’écrivaine Anaïs Nin. Cet ouvrage de près de deux cent pages retrace la vie de l’écrivaine à la fin des années 20 (1928-1934), mis en lumière par une pointe graphique multicolore et un scénario parfaitement construit.
Personnage sulfureux, femme épanouie et assumée… féministe avant l’heure ? Anaïs Nin, elle, se considérait comme un miroir brisé.
La dessinatrice réussit à rassembler le puzzle pour nous et nous donne sa lecture d’une écrivaine de son époque qui utilisait les événements de sa vie et ses émotions pour les transformer en art de l’écriture.
- Léonie Bischoff / Casterman
Pourquoi Anaïs Nin ?
Je pense que c’était une artiste qui était en avance sur son temps et les thèmes qu’elle explore sont d’ailleurs toujours d’actualité, même si je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite en travaillant dessus …
Elle était en quête de sa voix et de sa liberté en tant que créatrice. Elle était dominée par les hommes et elle voulait dépasser ces contraintes et les normes liées à son époque.
Elle avait envie d’élargir les possibilités de ce qu’une vie peut être.
Dans ses premiers écrits, ses journées sont monotones. Elle est femme de banquier, elle n’a pas de difficultés financières et elle pourrait mourir d’ennui, mais il y a un feu qui couve en elle et elle veut lui donner toute sa place.
Elle a envie de se développer en parlant à travers son journal, comme beaucoup d’artistes et beaucoup de gens finalement…
À quel âge avez-vous commencé à lire Anaïs Nin ?
J’ai commencé à lire les versions expurgées en livre de poche quand j’étais étudiante. Assez vite je me suis renseignée sur les versions complètes et j’ai pu y découvrir d’autres choses sur sa vie.
Et puis, je me suis rendu compte que j’avais souvent envie de relire ses ouvrages. Il y a quelque chose dans son écriture, sa voix, qui me touche et me donne envie moi-même de créer.
Elle a vécu dans la période de l’entre-deux guerre, qui est très riche visuellement. En lisant les écrits d’Anaïs Nin, j’imaginais les décors, sa sensualité et sa maison qu’elle avait elle-même décorée.
- Léonie Bischoff / Casterman
Qu’est-ce qui vous a le plus fasciné chez elle ? Est-ce le personnage sulfureux qui couche avec son père ou sa personnalité d’artiste ?
Selon moi, on lui a fait une fausse réputation d’écrivaine sulfureuse comme c’était une femme.
À part dans Vénus érotica et Les petits oiseaux, les passages érotiques sont rares dans le reste de sa bibliographie… rien à voir avec le marquis de Sade ou Georges Bataille…
Le fait qu’elle couche avec son père est choquant, effectivement, mais ce n’est pas cet épisode qui m’a donné envie d’écrire sur elle.
Il y a chez elle une force érotique et créatrice qui sont indéfécables l’une de l’autre.
Audrey Lord parle d’ailleurs de l’érotisme en tant qu’excitation, lien, attirance, qui sont proches du travail des femmes poètes.
Pour certains philosophes ou encore dans la religion bouddhiste, le centre de la création est le chakra orange celui relié au ventre qui représente le sacré et la sexualité. Ce n’est pas anodin que beaucoup s’en inspirent et pensent que la créativité vient de là !
Anaïs Nin parle du fait de créer en tant qu’artiste, plutôt qu’avec son corps comme le font les femmes de son époque en ayant des enfants.
La scène de son avortement a été très dure à dessiner d’autant que quelques jours avant de la coucher sur papier, je suis tombée sur une vidéo dans laquelle Ovidie parlait de violences gynécologiques faites aux femmes.
Le médecin qui a avorté Anaïs Nin lui en voulait et faisait exprès d’être violent avec elle.
Pour Nin, la force qu’elle mettait dans ses créations était indissociable de son travail.
On a dit d’elle qu’elle était bipolaire, elle avait toujours un besoin d’être parfaite, d’être aimée et c’est ce qui l’a poussée à faire des choix et des compromis.
Elle n’avait pas de tabous, comme par exemple avec ses psys avec qui elle a couché. Aujourd’hui ce serait considéré comme une faute professionnelle, un abus de pouvoir et de confiance de la part du thérapeute. Mais c’était une autre époque et n’oublions pas que c’était aussi les débuts de la psychanalyse…
Nin avait une approche très particulière, elle est tout le temps en train de penser en tant qu’écrivaine et elle vit les choses en tant que stimuli de sa créativité. Elle est passionnée, investie dans sa vie et son art, tel un laboratoire féminin elle expérimente toutes sortes de choses, et même des choses quelle ne revendique pas telles que la décoration ou encore la couture … Pour elle, ses activités l’aidaient dans son évolution.
Elle avait par exemple peint chaque pièce de sa maison d’une couleur différente afin de provoquer des émotions particulières quand on y entrait. Elle avait une considération pour tous ses sens.
Sa sensualité va bien au-delà de l’érotisme, elle la supplante.
- Léonie Bischoff / Casterman
Comment vous êtes-vous documentée ?
J’ai lu beaucoup de livres et surtout ses journaux.
Je n’arrivais pas à obtenir les journaux plus tardifs de sa vie, alors j’ai lu deux biographies, l’une écrite par un homme et l’autre par une femme, mais je les ai trouvées très moralisatrices, jugeant sa vie, faisant d’elle un cas pathologique qui passait à côté – selon moi – de la vraie Anaïs Nin.
Je me suis confortée dans l’idée qu’il fallait parler d’elle différemment, de transmettre ses émotions, de repartir de l’intérieur en suivant la chronologie de sa vie.
Quelle période couvre l’ouvrage ?
Je me suis basée sur ses journaux de 1928 à 1934, mais j’ai un peu triché avec les évènements.
J’ai pris quelques libertés, car c’est avant tout un roman graphique.
On sait qu’elle-même a triché et réécrit ses journaux, donc je me suis accordé cette permission de transformer un peu la réalité. Je ne voulais pas me limiter avec certaines contraintes. J’en ai fait une interprétation libre, et encore une fois, je ne me revendique pas comme historienne ou spécialiste d’Anaïs Nin.
En BD, la biographie type, ce n’est pas le type de scène que j’ai envie de lire ou d’écrire. Mon récit n’est pas une biographie au sens strict, sinon je considère qu’on perd en émotions et j’ai sciemment choisi de me limiter à cette période qui couvre quatre à cinq ans de la vie de l’écrivaine.
C’est en effet un moment particulier de la vie de Nin, ou elle gagne en maturité, elle fait de nombreuses rencontres d’artiste parisien (Antonin Artaud et Henri Miller entre autres).
Je ne pense pas faire une suite d’Anaïs Nin, sur la mer des mensonges, mais en lisant les journaux de l’écrivaine d’après 1934, je m’y intéresse de plus en plus. Je vois son évolution psychologique au fil des ans, alors je ne ferme pas complètement la porte… on verra (rires).
Combien de temps avez-vous travaillé sur ce roman graphique ?
Ça fait huit ans que j’ai maturé ce projet, petit à petit, par petites touches …
Parfois je me décourageais et le projet me paraissait trop conséquent pour moi.
J’étais également trop dans l’admiration du personnage de Nin et j’avais l’impression que je ne pourrai lui rendre justice !
Quelle technique avez-vous utilisée ?
Le crayon de couleur, un seul. Et celui que j’utilise est de la marque Koh-i-Noor Hardtmuth à pointe multicolore.
C’est une auteure d’ouvrages jeunesse qui me l’a fait découvrir et je l’utilisais jusqu’à présent seulement pour mes dédicaces. C’est la première fois que je fais un ouvrage entier avec ce crayon.
Je les commande par caisses en République tchèque. Je les adore, et les consomme par dizaines. Ils me permettent de faire exploser la vie dans mes dessins.
- Léonie Bischoff / Casterman
Anaïs Nin est-elle vraiment une féministe, puisqu’elle a besoin des hommes pour écrire et se créer ?
C’est un peu ambigu en effet et ça dépend de la vision que vous avez du féminisme.
Je pense qu’elle n’a pas bien été comprise en son temps.
À la fin de sa vie, quand elle vivait à Los Angeles, elle n’a jamais manifesté un rejet des hommes alors que les femmes de cette période revendiquaient leur vie sans hommes. Mais Nin, elle, n’était pas dans cet état d’esprit. Elle avait un côté séductrice, elle avait une élégance classique, bien habillée, coiffée, maquillée et elle ne comprenait pas les féministes qui brûlaient leur soutien-gorge !
Il faut se dire que ce n’était pas la même époque, je la trouve féministe dans le sens où elle « milite » pour le droit à l’autodétermination, pour que la parole des femmes ne ressemble plus à celle des hommes. Et d’ailleurs, elle n’utilisait pas le mot « féministe »
Si elle vivait aujourd’hui, Anaïs Nin ferait-elle partie d’un mouvement féministe ? Si oui lequel ?
Je ne peux pas me prononcer à sa place !
Elle ne voulait pas froisser les hommes. Elle prenait des rôles différents selon les hommes avec qui elle couchait, pour correspondre à chacune de leurs personnalités.
Elle voulait être la femme idéale face à ses amants, quitte à se perdre elle-même.
Elle était consciente de jouer des rôles, mais n’allait jamais jusqu’à les provoquer, ou les mettre mal à l’aise. Elle n’était pas une féministe virulente.
Ne pensez-vous pas que si les réseaux sociaux avaient existé à son époque, elle aurait été accroc à ces derniers ? Aurait-elle fait de la téléréalité ?
J’imagine que oui ! Et je la vois plutôt sur Instagram pour le côté visuel artistique.
Elle aimait tout faire par elle-même jusqu’à s’auto-éditer, mais elle n’aurait pas fait de téléréalité, car elle n’aurait pas supporté d’avoir un réalisateur qui la dirige et n’aurait jamais accepté ses montages !
Je l’imagine très bien sur Instagram, car il laisse une grande place à l’image, mais aussi au texte. Je la vois travailler beaucoup et de façon étudiée sur ses publications. Elle n’aurait pas été dans l’instantanéité.
Elle aurait posté tous les jours, mais avec beaucoup de temps de réflexion. Instagram, c’est presque un travail de curateur d’exposition et je suis sûre qu’elle y aurait été très à l’aise et brillante grâce à son côté narcissique.
Sur quels projets travaillez-vous désormais ?
J’ai très envie de retourner au scénario, mais je n’ai pas forcément le temps.
Il faut que je dessine et que je gagne ma vie aussi, ma principale source de revenus étant le graphisme !
J’ai envie de dessiner la nature, les animaux… peut-être en raison des suites du confinement… J’ai toujours été fascinée par les grands espaces et j’avais d’ailleurs fait un voyage dans le Dakota pour me documenter sur un projet qui n’a pas vu le jour…
Je suis actuellement en train de travailler sur une adaptation de western pour la jeunesse, l’histoire d’un petit garçon d’une douzaine d’années. Il y a aussi des personnages féminins, mais c’est tout à fait autre chose que mon ouvrage sur Anaïs Nin. J’avais besoin de quelque chose de plus léger (rires).
Léonie, votre ouvrage est une pure merveille visuelle, vous serez forcément le Fauve d’or 2021 d’Angoulême !
Merci ! Cet ouvrage représente beaucoup de travail et d’investissement et je suis heureuse de pouvoir partager la vie de Nin avec des lecteurs et qu’il vous plaise autant !
Merci, cela me touche énormément et me va droit au cœur.
- Léonie Bischoff / Casterman
Notre avis
C’est un travail de titan à la mine d’orfèvre qu’a effectué Léonie Bischoff avec ce premier roman graphique dédié à l’écrivaine Anaïs Nin.
Le personnage est multiple, autant que les angles de vue des planches de la dessinatrice.
Des dessins au crayon multicolore, s’évade la liberté entière d’Anaïs Nin. Elle était rebelle, autodidacte, sensuelle, aquatique, c’est tout cet univers riche et personnel que l’on retrouve ici, plongée visuelle permanente dans des limbes arc-en-ciel délicats.
Pour Anaïs Nin, chaque mot, chaque ligne sortie de sa psyché était une libération. Léonie Bischoff a réussi à transposer ce sentiment de liberté avec des dessins fluides, légers et subjectifs.
Ici point de jugement, chaque recoin de l’ouvrage est un partage bienveillant autour d’une femme qui écrivait et vivait comme bon lui semblait, se nourrissant de son quotidien qu’elle s’était forgé, Rubik’s Cube amoureux qu’elle s’était inventé.
Les pièces sont désormais (presque) dans l’ordre avec ce roman graphique Anaïs Nin, sur la mer des mensonges de Léonie Bischoff, édité chez Casterman.
192 pages - 23,50 €
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