Il y a un peu plus d’un an, le monde des lettres célébrait les quatre-vingt-dix ans d’Aimé Césaire. Une vie passée sous les feux de la politique et de la littérature n’y fait rien ! L’homme confesse n’être pas très à l’aise avec les mondanités, surtout lorsqu’il en est l’objet.

Il est aussi l’objet d’un petit livre précieux et émouvant, le bilan de presque un siècle de vie et d’histoire : Aimé Césaire, rencontre avec un Nègre fondamental. Patrice Louis rassemble ici des entretiens réalisés à Fort-de-France en 2002 et 2003, diffusés en juin 2003 sur Antilles-Télévisions, et repris en extraits dans Le Point à la même époque.

Césaire s’y laisse aller à la digression pour évoquer ses rencontres, ses combats. Senghor, avec qui il pose les premières bases de la Négritude, André Breton, qu’il rencontre par hasard à Fort-de-France et cette découverte :"je fais du surréalisme sans le savoir", tous ceux, anonymes, professeurs, qui l’ont aidé sur sa route, qui ont su voir en lui ! Mais toujours s’impose la certitude que la poésie est une arme, au même titre que le combat politique, complémentaire du combat politique. Les surréalistes eux même en font leur credo. Il faut "tout foutre en l’air". "Fouille en toi", se dit Césaire, "et quand tu auras bien fouillé, [...] tu trouveras le Nègre fondamental."
Le Cahier d’un retour au pays natal sort pour la première fois en 1939. Poème-monument, animé d’un souffle épique, fouillant au plus profond de l’homme et de son émotion, il met en place un univers poétique traversé par la conviction que "l’essentiel c’est l’homme, la douleur de l’homme". C’est ce souci de l’homme, cette intuition que "l’histoire des Antilles [c’est] un peu celle de l’humanité" qui le pousse à mettre sa pensée en actes. On connaît la suite... Le Parti communiste, élu maire de Fort-de-France puis député en 1945 (il restera à la mairie jusqu’en 2001), son combat pour la départementalisation.

Patrice Louis balise ces récits de souvenirs, ramène sur le chemin lorsque les anecdotes s’échappent trop loin du propos, "pas césairolâtre [...] mais pas sans humilité". Restent 70 pages d’émotion pure, d’histoire et d’humanité, incarnées dans un homme d’exception. Une approche précieuse d’un poète majeur, et l’envie irrépressible de mieux connaître la voix de
"ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
Ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité
Ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel
Mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre." [1]