Le 12 janvier 2025
Une fable romantique touchée par la grâce sur le coming out d’un jeune adolescent. Une œuvre unique et infiniment précieuse sur la quête de l’identité sexuelle et l’acceptation de soi.
- Réalisateur : Anthony Schatteman
- Acteurs : Geert Van Rampelberg, Lou Goossens, Marius De Saeger
- Genre : Drame, LGBTQIA+, Teen movie
- Nationalité : Belge, Néerlandais
- Distributeur : Épicentre Films
- Durée : 1h40mn
- Reprise: 19 février 2025
- Festival : Festival de Berlin 2024
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Résumé : Elias, quatorze ans, vit dans un petit village de Flandre. Lorsqu’Alexander, son nouveau voisin du même âge venant de Bruxelles, emménage en face de chez lui, Elias réalise qu’il est en train de tomber amoureux pour la première fois. Il devra faire face au chaos intérieur provoqué par ses sentiments naissants afin de vivre pleinement son histoire avec Alexander et de la révéler à tous.
Critique : Bien qu’Anthony Schatteman ait avoué que son meilleur ami Lukas Dhont, auteur de Close, a participé aux premières version du scénario de Young Hearts, la comparaison potentielle que le spectateur serait amené à faire s’arrête là car les deux films empruntent des trajectoires narratives diamétralement opposées. Là où Close se concentrait sur une relation amicale et fusionnelle subitement fragilisée par les stigmates des représentations de genre dès l’entrée au collège, et de fait dénonçait par la même occasion les dégâts bien réels de la masculinité dans la sphère scolaire avec une seconde partie tombant dans la pure tragédie, Young Hearts annonce d’emblée qu’Alexander, le camarade et voisin dont le protagoniste va tomber amoureux, aime les garçons. Point. Ce n’est même pas un sujet. Le dilemme du personnage d’Elias relève donc de l’acceptation de sa propre homosexualité dans une configuration où sa famille et ses amis n’ont jamais douté de son identité sexuelle, d’autant qu’il a une petite amie connue de tous. Il était difficile pour Close d’échapper au programme verrouillé de son scénario, finalement prétexte à verser dans le mélodramatique dans sa forme la plus évidente, après une bascule au milieu du film qui brise l’émotion, le cinéaste belge laissant de côté l’amour pour la mort. Young Hearts, quant à lui, est un film d’amour avant tout, mais aussi un long métrage matriciel d’une nouvelle représentation, encore quasi inédite jusqu’ici, de l’amour homosexuel dans la pré-adolescence, se concentrant sur les sentiments, plus que la physicalité entendons-nous bien. L’ambition première d’Anthony Schatteman est de composer une fable romantique dans sa dimension la plus pure, avec pour le spectateur un sentiment d’envoûtement, comme plongé dans un bain amniotique. Sa mise en scène capture ses deux adolescents comme deux anges d’un paradis perdu, s’attardant sur les regards et s’immisçant dans leur âmes, saisissant les doutes, l’attachement, le sommeil agité, le charge d’une douleur contenue et empêchée, comme lorsqu’Elias regarde Alexander passer du temps avec une fille dans la cour de récréation ou bien lorsqu’il assiste comme impuissant à un baiser entre Alexander et un autre garçon dans un jeu enfantin de cap ou pas cap autour d’une bière. Le récit cristallise les oscillations d’Elias, ces moments de flottement, comme la peur de ne plus être accepté dans un groupe, que ce soit sa bande d’amis, sa famille et la relation conflictuelle avec son frère aîné, ou bien auprès de son collège, un microcosme en soi, quand un graffiti injurieux et offensant est dessiné sur une couverture de revue musicale sur lequel son père, un chanteur connu, et sa famille posent. Aussi, lorsqu’Elias se baigne avec Alexander dans l’étang et qu’il décide au dernier moment de garder son caleçon alors qu’Alexander l’a enlevé devant lui avant de plonger.
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Tous ces atermoiements amènent à bousculer l’ordre établi de sa sphère relationnelle jusqu’à tout faire vaciller. Le long métrage bascule alors dans la pure thérapie quand Elias est emmené par son grand-père dans un voyage réparateur après qu’il ait avoué à sa famille son mal-être, qu’il avait "envie de mourir". La distance avec le village est pour Elias un moyen de trouver un espace à soi où il pourrait s’ouvrir sans cette épée de Damoclès que représente le foyer où il a grandi, à qui Elias refuse la confession et la bascule à l’adolescence qu’il perçoit comme une trahison qu’il ferait. La ferme de son grand-père où il se réfugiait avec Alexander était déjà un safe place où l’amour pouvait éclore, comme cette scène de rapprochement magnifique où Alexander souffle dans le dos d’Elias pour le réchauffer après un moment passée sous la pluie. La confession qu’il fait à son grand père quant aux sentiments qu’il éprouve pour Alexander entre en écho, comme un miroir inversé, avec le monologue du père d’Elio dans Call Me by Your Name de Luca Guadagnino, qui disait à son fils que lui aussi avait ressenti quelque chose d’unique avec un autre garçon, faisant un parallèle avec l’histoire d’Elio et Oliver, mais lui révélant qu’il s’était toujours interdit à la passion, comme une obstruction à l’amour, en raison des conventions sociales et du regard des autres ; et qu’il félicitait son fils d’avoir cédé au déterminisme, malgré le fait que leur relation n’ira jamais plus loin étant donné qu’Oliver est déjà promis à une femme. Dans Young Hearts, l’enjeu est tout différent. Elias doit dépasser son déterminisme pour s’accomplir et vivre au grand jour sa relation avec Alexander qui n’attend que lui. Et cette transition vers sa nature véritable passe par le coming out, ici représentée de multiples manières, que ce soit auprès de sa mère et son grand frère dans une voiture dans une scène dialoguée assez intense émotionnellement, mené par le jeu exceptionnel de Lou Goossens, ou bien lors de l’apothéose final, quand le père voit Elias au loin embrasser Alexander lors de la fête du village, lui qui était tant accaparé par sa carrière musicale qu’il n’a su voir ni écouter son fils, avant de venir le voir et le serrer dans ses bras dans un mutisme frappant. Le rapport au Père est aussi très intéressant et demeure un maillon thématique pertinent à relever dans le film. En effet, l’ouverture du récit se déroule dans un concert interprété par le père d’Elias chantonnant des paroles communes et ringardes sur le mythe du premier amour, bien évidemment hétérosexuelle, qui agit comme un modèle de référence pour le héros. Plus tard dans le film, Elias, lorsqu’il voyage avec Alexander à Bruxelles, trouve une nouvelle figure d’identification à travers un drag queen sexagénaire qui lui chante a capella J’aime la vie de Sandra Kim, trois mots qui changeront à jamais sa perception du monde. La musique, l’art en général, peuvent être réparateurs et vecteurs d’assimilation, de projection.
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Le final du film verse dans la pure fable romantique quand les deux garçons, alors fâchés car Elias n’assumait pas sa relation avec Alexander, se revoient enfin dans un eye contact ravageur, avant de s’embrasser devant les habitants du village acceptant cet amour pur, innocent et doux que personne n’oserait entraver, comme, l’affirme le réalisateur, " un final romantique hollywoodien". C’est évidemment un Éden illusoire qu’il reste à accomplir dans notre monde contemporain extra-diégétique. Young Hearts est un trésor à garder précieusement et une juste représentation de l’amour homosexuel et ses tourments intérieurs, accessible au plus grand nombre. Une œuvre à marquer d’une pierre blanche.
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