Le 8 janvier 2025
Une adaptation d’un classique de Broadway en forme de pièce montée : toujours sucré, souvent roboratif, parfois écœurant.
- Réalisateur : Jon M. Chu
- Acteurs : Peter Dinklage, Jeff Goldblum, Michelle Yeoh, Cynthia Erivo, Bowen Yang, Ariana Grande, Jonathan Bailey, Ethan Slater
- Genre : Fantastique, Comédie musicale, Teen movie
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Universal Pictures France
- Durée : 2h40mn
- Date de sortie : 4 décembre 2024
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Résumé : Le parcours des sorcières légendaires du monde d’Oz. Elphaba, une jeune femme incomprise à cause de la couleur inhabituelle de sa peau verte, ne soupçonne même pas l’étendue de ses pouvoirs. À ses côtés, Glinda, aussi populaire que privilégiée, ne connaît pas encore la vraie nature de son cœur. Leur rencontre à l’Université de Shiz, dans le fantastique monde d’Oz, marque le début d’une amitié improbable mais profonde.
Critique : Le Magicien d’Oz, c’est un peu comme les côtes de porc : cela se cuisine à toutes les sauces. Le classique de la littérature jeunesse, écrit en 1900 et adapté – au prix de quelques infidélités – en un indéboulonnable film de Victor Fleming, a été revu et corrigé de toutes les façons : blaxploitation, manga, fantastique-horrifique, science-fiction… Wicked ne vient pas les mains vides et apporte sa pierre à l’édifice, en adaptant avec force et fracas la comédie musicale au carton historique de Broadway, elle-même adaptée d’un roman de l’auteur Gregory Maguire.
Plus qu’une affaire rondement menée de propriété intellectuelle à laquelle carbure désormais Hollywood (un livre débouchant sur un musical débouchant sur un film, générant lui-même un paquet de produits dérivés), Wicked s’inscrit surtout dans une tendance assez récente, qu’on pourrait qualifier de « révisionnisme empathique ». La recette est simple : prenez un « méchant » de fiction très connu – et de préférence très rentable – et explorez son passé pour montrer que ce n’est finalement pas un si mauvais bougre et qu’il a de bonnes raisons d’être comme il est.
- © 2024 Universal Studios. Tous droits réservés.
La tendance n’est pas née d’hier : dès 1971, le romancier John Gardner pondait Grendel, réinterprétation du poème épique Beowulf à travers les yeux de son antagoniste. Au cinéma non plus, l’idée n’est pas tout à fait neuve ; en fait, toute la « prélogie » Star Wars procédait déjà de ce révisionnisme empathique en nous montrant comment un orphelin anonyme était devenu Dark Vador. Mais c’est surtout depuis une décennie que ce genre d’œuvres déferle, qu’il s’agisse de Maléfique (la méchante de La Belle au bois dormant), du capitaine Crochet, du Joker de Batman ou du fourbe Megatron de Transformers… À chaque fois, les ressorts psychologiques sont peu ou prou les mêmes ; par exemple, si Coriolanus Snow est devenu le despote éclairé régnant sur le monde fictif au cœur de Hunger Games, c’est aussi parce qu’il fut un jour un gamin dans la dèche pour qui conquérir le pouvoir fut la seule échappatoire (ou quelque chose comme ça).
Wicked ne procède pas autrement : on apprend ici qu’Elphaba – nom donné par Maguire en hommage à L. Frank Baum, et interprétée avec majesté par Cynthia Erivo – n’a pas toujours été la Vilaine Sorcière de l’Ouest occise par la fameuse Dorothy en souliers rouges. Non, non, loin de là, puisqu’elle fut avant tout une petite fille « magnifiquement tragique », rejetée parce que différente (elle a la peau verte) aussi bien par son père, qui lui préfère sa petite sœur, que par ses camarades d’école. Armé d’une telle histoire, le film adopte donc logiquement les codes du teen movie. Avec la main plus ou moins heureuse : on pense à un mélange pas toujours digeste entre Harry Potter (pour le château qui sert de bahut et les profs aux talents magiques de tout crin), Lolita malgré moi (pour les différentes « castes » d’élève et la pimbêche qui ne rêve que de popularité, registre dans lequel Ariana Grande est d’ailleurs assez irrésistible) et… une série AB Productions, pour les marivaudages entre Elphaba, sa meilleure ennemie Glinda (elle aussi appelé à croiser Dorothy) et un bellâtre « grand playboy des fonds marins, genre qui fait rêver les ménagères », pour citer Burt Lancaster dans La Classe américaine. Passé quinze ans d’âge, pas sûr que vous accrochiez vraiment à ces atermoiements – ni beaucoup plus au message sur la tolérance et l’altérité véhiculé avec insistance.
- © 2024 Universal Studios. Tous droits réservés.
Que celles et ceux qui seraient tentés de quitter la salle pour fuir ces amourettes saccharinées se ravisent toutefois : une fois qu’il ose franchir les portes de son école de sorciers pour enfin s’aventurer au pays d’Oz, Wicked passe la seconde. Et convoque un à un les éléments qui faisaient tout le sel du film originel : la munificente cité d’Emeraude, le magicien-escroc éponyme (incarné par un Jeff Goldblum plus félin que jamais), les singes volants, la montgolfière… Programme certes prévisible pour tout préquel qui se respecte (imaginez grosso modo la séquence d’ouverture du troisième Indiana Jones étalée sur 2 heures 40) mais dont le film s’acquitte avec un panache certain.
Car, qu’on y adhère ou pas, Wicked force in fine l’admiration dans cette façon de pousser les curseurs à fond, d’assumer ses excès. Pleinement conscient de l’artificialité du matériau qu’il adapte (parce qu’il s’agit d’une comédie musicale, genre par essence très codifié, et parce qu’elle a les deux pieds dans le fantastique), le virevoltant Jon M. Chu en joue, le revendique pleinement, avec des chansons et chorégraphies étourdissantes, des chansons entêtantes, des décors et costumes ahurissants. Wicked ne franchit pas la ligne du kitsch : elle l’efface pour la redessiner cent mètres plus loin, sans se retourner. Est-ce là la meilleure façon d’adapter Broadway ? Peut-être, en tout cas cela fonctionne beaucoup mieux que beaucoup d’autres tentatives précédentes, tenant au mieux du karaoké sympatoche (Mamma mia et sa suite), au pire du carton-pâte braillard (Into the Woods, Cats). C’est une pièce montée, tour à tour délicieuse, écœurante et roborative – puis de nouveau délicieuse, etc. Si cela vous a plu, gardez en tout cas de la place pour le deuxième service : Wicked, partie 2 est déjà prévu pour 2025 !
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