Une vraie jeune fillette
Le 30 mai 2007
Catherine Breillat signe (enfin) le film qu’on n’espérait plus d’elle. Loin des anatomies cliniques de l’enfer masculin, une paradoxale réussite.
- Réalisateur : Catherine Breillat
- Acteurs : Anne Parillaud, Roxane Mesquida, Amira Casar, Caroline Ducey, Lio, Asia Argento, Isabelle Renauld, Yolande Moreau, Michael Lonsdale, Léa Seydoux, Fu’ad Ait Aattou, Claude Sarraute
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Distributeur : StudioCanal
- Durée : 1h50mn
- Date de sortie : 30 mai 2007
- Festival : Festival de Cannes 2007, Sélection officielle Cannes 2007 (en compétition)
– Lire aussi au sujet de ce film : Trois questions à Catherine Breillat
Résumé : Paris, 1835... Comme pour conjurer les soubresauts de l’époque, la noblesse se pique au jeu des {Liaisons dangereuses}, (un demi-siècle après la publication du roman épistolaire de Choderlos de Laclos), feignant de se croire encore au siècle des Lumières. La marquise de Flers décide de marier sa petite fille, fleuron de l’aristocratie française, avec Ryno de Marigny, une sorte de Valmont romantique. Mais ce que tout le monde ignore c’est que ce Don Juan, impénitent, est depuis dix ans l’amant et la proie d’une courtisane scandaleuse, démon de la séduction, fille naturelle d’une duchesse et d’un torero.
Critique : Contrairement à ses précédents (et infernaux) Romance et Anatomie de l’enfer dans lesquels elle entretenait un rapport très ambigu avec la sexualité masculine et livrait de bien vilaines pubs pour le désir, ce nouveau long métrage, dépourvu du moindre vernis sensationnaliste et de toute posture pseudo transgressive, rappelle - enfin - que Catherine Breillat est aussi la réalisatrice de Parfait amour (son meilleur film) où les cruelles lois de l’amour passionnel travaillaient tous les personnages sans exception, ou encore de 36 fillette où l’insolence le disputait à la mélancolie. Toujours aussi loquace et exigeant, littéraire dans le bon sens, son cinéma affiche soudainement un apaisement inattendu qui pourrait correspondre à celui de Breillat. En s’inspirant librement du roman homonyme de Jules Barbey d’Aurevilly, à une époque où les hommes et femmes s’adonnent au libertinage (on cite ouvertement Les liaisons dangereuses, de Laclos), la réalisatrice naguère sulfureuse démontre sans surenchère crapoteuse qu’elle parle aussi bien du cœur que du sexe, des autres que de soi-même. Au gré d’aventures emberlificotées et d’états d’âme ambivalents, elle sonde sans trivialité bobo, avec un vrai regard de cinéaste, les sentiments infinitésimaux de ses personnages. La rigueur de ce film libre et impertinent n’interdit pas une drôlerie absurde dans son décorum rococo et ses vêtements corsetés à travers lesquels peine à passer le souffle du désir. Pour un peu, on se croirait chez Pasolini qui adorait par-dessus tout les décalages temporels pour parler crûment des diktats contemporains.
Ne pas conclure que Breillat observe avec la froide distance du moraliste (ou l’œil redoutable de la déraison) les aléas sentimentaux de ses protagonistes. Cette fiction, intransigeante et tout en retenue, où la gravité perce sous le badinage frivole et les joutes verbales, joue sur les regards, la lenteur, les silences en suspension. Qui laissent à l’émotion le temps de poindre et de grandir. Il faudrait également souligner la beauté de ce film sombre à la lisière de l’utopie où l’amour triomphe de la mort, la liturgie de ses scènes de lit à la dévoration lente, l’ésotérisme et le suspense assumés, les allures de rêve éveillé et la fermeté sensuelle avec laquelle Asia Argento prend le corps de son partenaire androgyne pour l’entraîner vers des étreintes de plus en plus intenses. Mais allons à l’essentiel : Catherine Breillat illustre la confrontation d’un ange et d’un démon dans la cour des illusions et construit un poème rigide au parfum grotesque qui échappe à la solennité. "Le bonheur n’est pas gai", assénait Jean Servais à la fin du Plaisir de Max Ophüls. Non, le bonheur n’est pas gai. Il est même parfois atroce (Michael Lonsdale et Yolande Moreau résument la morale de l’écheveau). Catherine Breillat en rend compte avec une douce ferveur. Belle démarche. Beau film.
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Soni 5 juillet 2007
Une vieille maîtresse - Catherine Breillat - critique
Etrange choix pour une cinéaste à la réputation de films sulfureux et incompréhensibles pour ses réfractaires. Mais, le projet de Catherine Breillat n’est pas aussi surprenant pour la passionnée de littérature qu’elle est depuis son plus jeune âge. L’adaptation de La fille aux yeux d’or de Balzac est le début d’une renaissance de Catherine Breillat qui est plus que jamais déterminée à faire surgir de ses films la pensée la plus pure, le désir et la passion. Ce n’est pas le hasard si le tournage d’Une vieille maîtresse a débuté un an après l’accident cérébral de Breillat. La rééducation qui a suivi, physique et morale à la fois, donne à son dernier film, un autre souffle beaucoup plus romantique et sensuel.
Le scénario est fidèle à la langue du XIXème siècle et au texte magnifique du roman de Barbey d’Aurevilly excepté quelques fautes égarées prononcées par la Marquise de Flers ou autre position allongée, toujours de la même Marquise, bien choquante pour une aristocrate digne de ce nom. Serait-ce là un clin d’œil de Breillat qui nous rappellerait son audace et son anticonformisme. Le jeu de Roxane Mesquida(Hermangarde)-dont Breillat s’amuse à dire que c’est la troisième fois qu’elle se fait dépucelée dans ses films- est juste mais manque d’intensité face au mystérieux Ryno de Marigny joué par Fu’ad Ait Aatou. Madonna aurait été sollicitée pour le rôle de la mariée, on ne peut que se demander quel jeu aurait-elle choisi.
Le visage angélique d’Hermangarde vient contraster avec celui de son prétendant, mi-démon mi -ange, aux lèvres pulpeuses et dont la singularité nous rappelle Dorian Gray, le jeune dandy séducteur et mondain de l’œuvre d’Oscar Wilde. Le jeune amant, dans les bras de sa maîtresse, est un être intemporel en quête de survie et de passions. Le Kama Sutra de Breillat n’est pas tout à fait écarté bien que léger ici avec l’interprétation de l’actrice italienne Asia Argento dans le rôle de Vellini, la scandaleuse courtisane espagnole, fille d’une duchesse et d’un torero qui est prête a tout pour prendre ou reprendre son jeune amant par les cornes. Peu convaiquante aussi bien dans sa gestuelle amoureuse et passionnée que dans ses paroles presque incompréhensibles parfois, Asia Argento se plaît à exagérer maladroitement ses cris inhumains de jouissance ou de pleurs et sa mine boudeuse pour en oublier l’essentiel : le naturel de son personnage et la passion destructrice qui l’unit à Ryno de Marigny. Seul Michael Lonsdale en Vicomte semble avoir adopté merveilleusement la langue du XIXème siècle et ses comportements. Yolande Moreau est beaucoup plus crédible dans le rôle d’une Comtesse que la pauvre Claude Sarraute, déguisée en aristocrate courtoise et récitant scrupuleusement son texte comme une enfant au spectacle de fin d’année de son école.
La mise en scène est sobre ; mélange de décors de tableaux classiques et de gros plans qui viennent amplifier la laideur diabolique de Vellini.
Une vieille maitresse est un film noir et romantique à la fois ; un mélange de genres déstabilisant avec des lenteurs et des scènes grotesques sortants d’un tableau de Goya mais qui n’est que la continuité de l’œuvre d’une Catherine Breillat, encore plus libre et hors du commun.