Le 11 mars 2021
Film coup de poing, souterrain et étouffant, ce thriller magistral hisse Jacques Audiard dans la cour des grands et révèle un comédien foudroyant, Tahar Rahim.
- Réalisateur : Jacques Audiard
- Acteurs : Niels Arestrup, Leïla Bekhti, Tahar Rahim, Reda Kateb, Adel Bencherif
- Genre : Drame, Thriller, Drame carcéral
- Nationalité : Français
- Distributeur : UGC Distribution
- Durée : 2h35mn
- Date télé : 6 mai 2024 22:55
- Chaîne : Ciné+ Premier
- Date de sortie : 26 août 2009
- Festival : Festival de Cannes 2009
Résumé : Condamné à six ans de prison, Malik El Djebena, ne sait ni lire, ni écrire. À son arrivée en Centrale, seul au monde, il paraît plus jeune, plus fragile que les autres détenus. Il a dix-huit ans. D’emblée, il tombe sous la coupe d’un groupe de prisonniers corses qui fait régner sa loi dans la prison. Le jeune homme apprend vite. Au fil des « missions », il s’endurcit et gagne la confiance des Corses. Mais, très vite, Malik utilise toute son intelligence pour développer discrètement son propre réseau...
Critique : Passons rapidement sur le fait que ce chef-d’œuvre, indiscutablement le meilleur film (et de haut) de la compétition cannoise, n’ait pas eu la Palme d’or. Qu’il aurait été malvenu qu’une seconde Palme française consécutive soit décernée, et de surcroît par une actrice française, ou qu’un Jury ait préféré déjoué les attentes en proposant un titre alternatif et personnel, nous n’en avons cure. En leurs temps, Bresson, Resnais, Tarkovski, Wong Kar-wai ou Almodóvar durent aussi se contenter d’un accessit, sans que cela n’entache leur prestige. Un prophète, thriller magistral et film coup de poing souterrain et étouffant, sera reconnu très bientôt comme un jalon de notre cinéma national.
- © UGC Distribution
Le calvaire et la résurrection de ce jeune délinquant s’inscrivent en premier lieu dans la lignée de personnages antérieurs d’Audiard. Malik (foudroyant Tahar Rahim), pourrait être le petit frère de Johnny (Mathieu Kassovitz), déjà pris sous l’aile d’un truand vieillissant dans Regarde les hommes tomber. Sa fausse candeur et son opiniâtreté rejoignent celles de Carla (Emmanuelle Devos), la secrétaire de Sur mes lèvres. Quant à sa double personnalité (mi-ange, mi-démon), elle fait écho à la dualité de tueur et d’artiste de Tom, le jeune pianiste dans De battre mon cœur s’est arrêté, avec qui il partage aussi la référence paternelle (réelle ou symbolique), incarnée dans les deux films par le génial Niels Arestrup. Mais contrairement à ses précédentes réalisations, Audiard privilégie le huis clos, le microcosme de la prison étant ici le catalyseur des rapports de force, des influences sociales et des stratégies, tant de survie que de domination. Les rares séquences tournées en extérieur (dont un rendez-vous à Marseille et l’attaque d’une voiture blindée), loin d’être une coquetterie visant à « aérer l’action », n’en rendent que plus oppressant le retour à la case prison. Film d’hommes, manipulateurs et solidaires, à la fois fragiles et terribles, secrets et extériorisés, Un prophète introduit alors une dimension de tragédie grecque dans un genre (le cinéma policier français) souvent moribond. Il faut remonter à Le trou de Jacques Becker ou aux Melville des années 60 pour retrouver une telle épure dans l’intensité dramatique, une telle tension dans la linéarité narrative.
- © UGC Distribution
D’aucuns ne manqueront pas d’exploiter le film pour d’inévitables (et indispensables) discours sur le caractère contre-productif de l’univers carcéral, qui voit de petits délinquants socialisés par des tueurs chevronnés, prône la loi du plus fort comme valeur centrale, et ne joue pas son rôle de réinsertion. Souhaitons que les débats qui suivront, à l’instar de ceux ayant accompagné Entre les murs, n’occultent pas les qualités de metteur en scène d’Audiard, dont ce dernier opus mérite mieux qu’une première partie de « dossiers de l’écran ».
Audiard est-il devenu le Scorsese français, comme certains l’ont déclamé un peu vite sur la Croisette ? La suite de sa filmographie confirmera ou nuancera cette comparaison somme toute facile ; Un prophète le hisse en attendant dans la cour des grands.
– Césars 2010 : Meilleur film - Meilleur réalisateur - Meilleur acteur et Meilleur espoir masculin pour Tahar Rahim - Meilleur acteur dans un second rôle pour Niels Arestrup - Meilleur scénario original - Meilleure photo - Meilleurs décors
– Festival de Cannes 2009 : Grand Prix du Jury
– Syndicat Français de la Critique de Cinéma 2010 : Prix du meilleur film
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Camille Lugan 28 août 2009
Un prophète - Jacques Audiard - critique
C’est comme si Audiard disait « Voici les clichés, et je ne m’y engouffrerai pas ». Complexe et beau, émouvant et violent - mais tellement juste et réel. Un film à ne pas manquer.
tetedemort 28 août 2009
Un prophète - Jacques Audiard - critique
Ce film est à peu près à l’opposé d’un Scarface. Si le parallèle est permis, l’acteur (excellent T. Rahim en effet) interprète alors un Tony Montana banalisé, sans strass ni paillettes, sans gonflette verbale ni aucune hystérie à la clé. Le film, comme dit Audiard, parle de gens qu’on ne connaît pas. Sa grande force, c’est que s’il s’appuie sur un étayage béton au plan documentaire, il reste une fiction, vous avez raison de le dire, on ne peut pas en rester aux Dossiers de l’écran... C’est une fiction portée par la vision de son auteur, c’est-à-dire ses partis pris formels d’artiste, ses inserts poétiques (à un moment on frôle le Lynch avec l’accident de cerf) ; et tous ces aspects enchevêtrés et très maîtrisés, très dosés, donnent un grand film, cru, âpre, mais très beau...
roger w 3 septembre 2009
Un prophète - Jacques Audiard - critique
Excellent dans la description de l’univers carcéral et formidable dans l’évolution psychologique du personnage principal, un prophète souffre tout de même d’une durée excessive par rapport à son sujet. Bon nombre de petites histoires pouvaient être supprimées sans que cela ne nuise à la cohérence de l’ensemble. Reste un excellent métrage.
Charly 8 mars 2010
Un prophète - Jacques Audiard - critique
Quand on pète plus haut que son cul...
http://lesitedelaverite.fr
Le consensus vaseux régnant autour d’Un Prophète (bruit assourdissant à Cannes mais prix pourri, critiques ordinairement méchants qui ravalent bien vite leur langue de vipère...) en dit long sur l’état moribond de la série noire occidentale. Il suffit de voir le semi échec de Mesrine, le succès public qui entoure n’importe quelle sortie de l’abominable Olivier « US » Marchal en France, ou du cercle de lumière qui accompagne le beauf intello Michael Mann pour se convaincre que ça va pas bien. Même James Gray, son apôtre le plus prestigieux, à défaut d’être le plus connu, s’est détaché du style en se rabattant dernièrement sur la comédie dramatique... Ce n’est certainement pas un hasard.
Heureusement ( ?), Jacques Audiard, lui, y croit encore. Il faut dire qu’on lui a bien ciré les pompes depuis De Battre Mon Cœur S’est Arrêté, joli numéro, éblouissant de perfection, mais dont le souvenir, quelques années après, est rikiki. Un Duris agité comme un Sarkozy en manque, qui peine à faire exploser son talent de pianiste, ça c’était bien. Quelques petites histoires de malfrats qui tournent mal, un Niels Arestrup ensanglanté, un pétage de plombs impressionnant... Bref, quelques belles images très colorées mais pas grand-chose de plus. Et pourtant ce sentiment persistant qu’on a d’Audiard et de son cinéma, que c’est « trop classe ».
Entretemps, il faut le dire, un œil et demi accrochés à une énième diffusion de Sur Mes Lèvres, et on était définitivement convaincu que cette patte classieuse existait bel et bien, que ce n’était pas une vue d’un esprit simplement « ébloui ». Et on se disait même qu’accompagné d’un vrai scénario, le cocktail Audiardesque pouvait réellement marquer l’esprit.
Alors, qu’en est-il de ce Prophète ? Déjà, il faut le dire, on ne comprend pas la moitié de ce qui se trame. Mon dernier audiogramme étant plutôt réglo, j’ai par exemple été très surpris, dès les premières minutes, de ne comprendre qu’un dialogue sur deux. Ca marmonne, ça marmonne à n’en plus finir, Arestrup en tête, qui semble avoir contaminé toute l’équipe d’acteurs jusqu’à l’ingé son. Impression sans cesse confirmée pendant plus de deux heures, où l’on se sent obligé de tendre l’oreille pour tenter de comprendre les tenants et les aboutissants d’une histoire qui semble se traîner dès lors que le principal enjeu dramatique du film est réglé (tuera ou tuera pas, le bleu ?), c’est-à-dire au bout d’une petite demi-heure ( !).
Le gros problème d’Un Prophète, c’est donc son scénario, à savoir un enchaînement de saynètes anecdotiques de la vie de taulard (l’apprentissage scolaire, summum du chiant), ponctuées de percées poétiques assez grossièrement mises en scène. Le script va jusqu’à s’encombrer d’une forme de chapitrage obscur, qui semble ne rien signifier, si ce n’est ses velléités de puissance narrative. En vain. Le plus curieux là dedans est que l’on ne s’ennuie pas tant que ça ! Ca c’est le vrai mystère d’Un Prophète.
Est-ce Tahar Rahim ? Non. A force de trop se rêver en Delon 2000, il en vient presque à agacer. Sont-ce les personnages secondaires ? Peut être... Bien que, encore une fois, Arestrup ne soit pas franchement convaincant (en dépit d’une sortie magistrale). Mais Ryad et Jordi le Gitan restent assez fascinants, quand bien même ils ne sont malheureusement qu’esquissés. Eux sont des mystères à eux tous seuls. Ils (ré)animent le film, de par la marginalité de l’un, de par le désespoir insouciant de l’autre. Et puis aussi, il faut le dire, on se laisse conduire par cette ambiance de documentaire façon « striptease ». Finalement la petite force d’Audiard, ici, c’est de parvenir à nous inclure dans ce monde fermé, de nous y faire vivre un peu quand on sait que c’est un lieu proprement inaccessible, presque sacré.
Mais l’ombre de Melville plane sur Un Prophète comme un oiseau de mauvais augure, nous rappelant sans cesse la virtuosité, la limpidité et la sobriété de ses chefs d’œuvre. Au final, cette fois-ci, on aura même pas été épisodiquement ébloui (aveuglé ?) par le « style » Audiard, juste effleuré.
Après tout Malik peut bien devenir ce qu’il veut, se repentir ou pas, on s’en moque ; et visiblement lui aussi, comme le laisse sous-entendre un final aussi grotesque que malsain. Malik est en fait un misérable Tony Montana, même pas prêt à faire rêver les kékés, même pas fou ou mégalo. Il est simplement banal. Et c’est bien regrettable pour un prophète.
Voir en ligne : Un Prophète