Le 4 mars 2021
Ce voyage d’exploration en Italie entérine la nouvelle ouverture au monde de Gallmeister qui a choisi un texte touchant, poétique et fort pour ces premiers pas hors d’Amérique.
- Auteur : Giulia Caminito
- Editeur : Gallmeister
- Nationalité : Italienne
- Traducteur : Laura Brignon
- Titre original : Un giorno verrà
- Date de sortie : 4 mars 2021
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
Résumé : À Serra de’ Conti, sur les collines des Marches italiennes, Lupo et Nicola vivent dans une famille pauvre et sans amour. Fils du boulanger Luigi Ceresa, le jeune Lupo, fier et rebelle, s’est donné pour mission de protéger son petit frère Nicola, trop fragile, trop délicat avec son visage de prince. Flanqués de leur loup apprivoisé, les deux frères survivent grâce à l’affection indestructible qui les unit. Leur destin est intimement lié à celui de Zari, dite Soeur Clara, née au lointain Soudan et abbesse respectée du couvent de Serra de’ Conti. Car un mensonge sépare les frères et un secret se cache derrière les murs du monastère. Alors que souffle le vent de l’Histoire, et que la Grande Guerre vient ébranler l’Italie, le jour viendra où il leur faudra affronter la vérité.
Critique : Avec Un jour viendra, Giulia Caminito rend hommage à son grand-père anarchiste,alors que l’Italie commence tout juste à s’unir sous un drapeau commun. Les villes s’ébrouent, le pays chasse la monarchie, le sang coule dans les rues et pulse dans les tempes de Lupo Ceresa. Celui qui porte un nom lupin est déterminé, ambitieux, fier. Quant à son frère, Nicola, il est « mie de pain », fébrile et fragile, passif et craintif. C’est la faille de Lupo, celui qui fissure son armure. Il protège ce garçon trop tendre pour les champs et le soleil brûlant, pour la faux et les sacs de farine. Il tient tête à leur père, préserve ses carnets et ses écrits, ombre rassurante qui dissimule la blancheur de Nicola et l’éloigne des Ordres. La peau sombre de Lupo, ses cheveux aussi noirs que ses yeux, son audace résolue lui font rêver de batailles et de justice, d’égalité et de révolution. Les gênes de son grand-père le rendent fougueux et son esprit vengeur l’habite. L’Italie, c’est son combat. Tiraillé entre l’amour d’un frère frêle et l’appel des armes, Lupo oscille, ne pouvant compter que sur ses lois pour faire le bon choix. Là où d’autres se réfugient dans les Écritures, l’animal rue, se cabre et se moque des éminences – le prêtre de Serra de’ Conti est ridicule, les sœurs, loin de ses préoccupations.
Un couvent domine les collines des Marches, les rues où trottent les deux enfants qui succèdent à leurs frères et sœurs emportés par la mort, à peine sortis des « entrailles maudites » de leur mère pour quitter la Terre. La Moretta veille, abbesse bienveillante et intransigeante qui recrée une famille autour d’elle, dans les murs de pierre épais que les sanglots ne peuvent traverser. Liée aux Ceresa par un lourd secret qui fait battre les pages d’Un jour viendra, son personnage est inspiré d’une sœur soudanaise dont l’histoire a touché l’auteure, presque autant que celle de son propre ancêtre.
Récit sublime d’une fraternité malmenée, ce roman est aussi un récit politique et poétique. Si certaines métaphores désabusent, d’autres font éclore des paysages et des sentiments dans la tête et le cœur du lecteur, l’emportent dans ce pays de citronniers et de vignes, d’anarchie et de fascisme, de conviction et d’emportements – bientôt aussi l’un des pays brisés par la Grande Guerre et par le fléau espagnol. Les phrases de Giulia Caminito sont longues, semblables à une mélopée lancinante où le souffle vient à manquer. Les points sont rares, ilots sur la page, là où les guillemets et les tirets sont absents, comme pour laisser courir la mélodie des mots sans l’entraver, ou si peu. Le temps bondit en avant puis recule, analepses, prolepses et ellipses faisant de ce texte un poème en prose, une villanelle nouvelle.
288 pages - 22,60 €
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Kirzy 4 avril 2021
Un jour viendra - Giulia Caminito - critique du livre
Dès les premières lignes d’un incipit fulminant, j’ai senti la puissance de ce roman, fresque sociale, familiale et historique dont le souffle romanesque m’a irrésistiblement emportée vers la région italienne des Marches et plus précisément le village de Serra de’ Conti, sans jamais retomber.
Comme dans un conte, on suit la famille des Ceresa, misérable et surtout marquée par des secrets et une malédiction. « On racontait que les corbeaux mangeaient à leur table » tant les enfants meurent les uns après les autres, progéniture malheureuse d’un père boulanger violent et d’une mère perdant la vue, à moitié folle de dévoterie. le pivot central du roman est le duo formé par deux enfants survivants, Lupo et Nicola, deux frères polaires aussi opposés et complémentaires que le yin et le yang ou que le nadir et le zénith, liés de façon viscérale bien au-delà des liens du sang.
Un des grands bonheurs de ce roman, c’est son écriture. La prose de Giulia Caminito oscille entre poésie, lyrisme et néoréalisme, dans un style presque ancien sans pour autant paraître apprêté et artificiel. Au contraire, les dialogues étincellent d’une vivacité à la spontanéité presque contemporaine. L’auteure excellent aussi bien à inscrire son roman dans le fleuve des événements ( luttes paysannes contre les grands propriétaires terriens, montée de l’anarchisme, semaine rouge d’Ancône, Grande guerre, grippe espagnole ) qu’à l’habiter de personnages inoubliables tout en rendant hommage à la beauté austère de la nature des Marches.
Tous les personnages, même les plus secondaires existent, tous ont leur voix, même ceux qui ne traversent que quelques pages. Denses et magnifiquement caractérisés, ils nous prennent par la main pour ne plus nous quitter. Lupo, le frère rebelle animé par la flamme de la révolte ; Clara, la charismatique soeur noire du monastère de Serra de’ Conti ( personnage inspiré de la Moretta, moniale clarisse d’origine soudanaise au parcours atypique, enlevée enfant, vendue comme esclave pour se finir abbesse mélomane ) ; et Nicola, sans doute le plus beau personnage car celui qui se métamorphose, lui qui était ainsi présentait : « On l’appelait l’enfant mie de pain parce qu’il était le fils du boulanger et qu’il était faible, il n’avait pas de croûte, laissé à l’air libre il moisirait, bon ni pour la soupe ou le pancotto, ni pour nourrir les poules ».
Le roman est traversé par la thématique de la foi et des actes de foi, qu’il s’agisse de la piété religieuse, de l’engagement anarchique ou du dévouement à la famille. Il faut croire en quelque chose pour survivre aux assauts de l’extérieur et de l’Histoire. Les personnages principaux sont tous des résistants dont l’unique but tend à trouver sa manière d’être au monde, jusqu’à se dépasser en cassant la fatalité de ce qui semblait cristalliser leur identité initiale. Pour les y guider, Giulia Caminito a construit un roman spiralaire, maniant allégrement ellipses, prémonitions et analepses, laissant son roman suivre une voie libre, jetant des indices, éclairant des détails qui prennent tout leur sens au fil des chapitres, offrant des surprises au lecteur ou l’irruption de personnages importants en cours d’histoire.
Ce roman éblouissant m’est allé droit au coeur ! J’ai tout aimé, sans aucune réserve. Cette première échappée des éditions Gallmeister hors d’Amérique du Nord révèle une nouvelle fois la qualité de la ligne éditoriale de cette maison .