Réussir ou mourir
Le 23 juillet 2022
Fraîchement auréolé de son César, Pierre Niney se glisse dans la peau d’un jeune auteur dans un thriller haletant, signé du réalisateur de Captifs.
- Réalisateur : Yann Gozlan
- Acteurs : André Marcon, Marc Barbé, Thibault Vinçon, Ludovic Berthillot, Ana Girardot, Laurent Grévill, Pierre Niney, Valeria Cavalli
- Genre : Thriller
- Nationalité : Français
- Distributeur : Mars Distribution
- Durée : 1h37mn
- Date télé : 6 mars 2024 23:15
- Chaîne : NRJ 12
- Date de sortie : 18 mars 2015
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Résumé : Mathieu, vingt-cinq ans, aspire depuis toujours à devenir un auteur reconnu. Un rêve qui lui semble inaccessible car malgré tous ses efforts, il n’a jamais réussi à être édité. En attendant, il gagne sa vie en travaillant chez son oncle qui dirige une société de déménagement… Son destin bascule le jour où il tombe par hasard sur le manuscrit d’un vieil homme solitaire qui vient de décéder. Mathieu hésite avant finalement de s’en emparer, et de signer le texte de son nom... Devenu le nouvel espoir le plus en vue de la littérature française, et alors que l’attente autour de son second roman devient chaque jour plus pressante, Mathieu va plonger dans une spirale mensongère et criminelle pour préserver à tout prix son secret…
Critique : Après le très prometteur Captifs, passé inaperçu, comme tout bon film de genre français, le réalisateur Yann Gozlan remet le couvert avec Un homme idéal, thriller électrique à l’ambiance stylisée à souhait qui n’est pas sans rappeler le chef-d’œuvre de René Clément : Plein soleil. De quoi venir redorer le blason d’un genre trusté par des productions ultra-formatées aux scenarii dénués de substance. Bienvenue dans les affres de la création.
L’atout majeur de Yann Gozlan, outre un Pierre Niney post-Saint Laurent particulièrement inspiré, reste sa capacité à s’approprier des schémas d’écriture et des trucs de réalisation pour les remettre à sa sauce. Mais il n’est cependant pas le marmiton que l’on pourrait croire, celui qui se contenterait de proposer un patchwork élimé de scènes prises ça et là dans les films qu’il admire. Bien que de facture assez classique, surtout en terme de structure, Un homme idéal utilise ses références - de Hitchcock à Deray en passant par Chabrol, sa peinture d’une certaine bourgeoisie et son attirance pour la monstruosité de l’homme (l’influence de La femme infidèle semble particulièrement prégnante)- de manière toujours judicieuse, comme si le réalisateur en proposait sa propre lecture. Mathieu, par la perte totale de ses repères, dangereux dans sa fragilité, perd tout contrôle sur sa vie et tente de préserver les apparences à tout prix, seul élément qui le raccroche encore à un semblant de réalité. C’est cette angoisse de la perte, notamment de celle qu’il aime, qui le précipite vers sa chute. Avec ses airs de jeune premier timide au regard tantôt fou, tantôt fuyant, Pierre Niney parvient à incarner, comme Delon avant lui, la présence et l’absence, deux revers d’une même médaille, symboles de la tension interne et de la violence latente qui habitent un personnage en quête de lui-même et confronté à ses vieux démons. De la peur de se décevoir lui-même, il passe à celle de décevoir les autres. Ce qui distingue le film du simple thriller haut de gamme, c’est la puissance du désir, la ferveur avec laquelle le personnage fait absolument tout ce qui est en son pouvoir pour changer son destin médiocre. En ce sens, le jeune Mathieu, mû par un besoin de reconnaissance viscéral en réponse à l’insignifiance de sa vie, agit comme un avatar contrariant et contrarié de nous-mêmes. Le choix du prénom, celui d’un des évangélistes, n’est sans doute pas dénué de sens.
La fascination exercée par la lente transformation du héros en monstre constitue la clef de voûte du métrage. Et quoi de plus parlant que l’évocation du milieu littéraire, où l’écriture du roman constitue pour l’écrivain une joie mais aussi une souffrance. Cette mise à nu, cette création en mouvement qui rejoue sans cesse quelque chose de son identité profonde, permettent de mieux cerner la construction du moi, voire en l’occurrence d’un moi autre, engendré par les circonstances. Comme dans Le boucher, pierre angulaire de l’œuvre chabrolienne, Gozlan fait le choix de la compréhension sans pour autant nous rendre le personnage sympathique. Ce subtil équilibre correspond vraiment à la mise en abîme du antihéros progressivement rattrapé par une fatalité qu’il a lui-même contribué à mettre en place. Pour autant, le scénario n’insiste guère sur les déterminismes sociaux et se concentre sur l’incapacité de Mathieu à accoucher de lui-même. Autrement dit, Un homme idéal, qui a l’intelligence de ne presque jamais adopter un autre point de vue que celui de son personnage principal, ressemble à une quête initiatique tardive et malsaine d’un jeune homme qui n’est jamais véritablement à sa place. Au delà de sa construction souvent elliptique qui permet d’autant plus de cristalliser l’action sur le drame se déroulant sous nos yeux, Un homme idéal bluffe par la qualité d’une structure narrative où chaque scène trouve à un moment donné son exact opposé. Une structure qui favorise un enfermement progressif d’un personnage de plus en plus esseulé qui se dirige lentement vers l’abîme. Rajoutez à cela une musique subtilement anxiogène qui joue sur la projection de nos peurs primaires sur un personnage de Matthieu de plus en plus « borderline », comme si nous étions nous-mêmes dépossédés d’une parcelle de notre propre vie, et le tableau sera quasi complet. Le glissement incessant de l’ombre à lumière et de la lumière à l’ombre constitue alors une vision cinématographique de l’état intérieur de Mathieu. Les extérieurs lumineux, gorgés de soleil, l’eau bleue de la piscine où se reflètent des rayons caressants, contrastent avec la froideur de la nuit et la noirceur de l’asphalte lorsque Mathieu projette son bolide contre la roche. Perdu au croisement des chemins, il rage contre lui-même. Jusqu’où peut-on, jusqu’où doit-on aller pour créer ? Seule la souffrance peut-elle engendrer la prose ? Le génie peut-il se construire où est-ce un état qui peut s’acquérir par le travail et l’abnégation ? L’expérience seule est-elle vraiment à la source du développement de toute production construite ? Au milieu de toutes ces questions, un acteur éclot encore un peu plus : Niney en passe par tous les stades, joue sur ses mimiques sans pour autant tomber dans le maniérisme de Saint Laurent, et l’on se sent proche de lui. Nous assistons sans doute, de films en films, à la genèse d’un vrai grand.
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