C’est à boire qu’il lui faut
Le 26 mars 2020
Un sexagénaire confronté à l’alcoolisme de sa femme et au rétrécissement de son univers. Un roman de l’auteur russe Valéri Popov couronné par le prix Bielkine du meilleur texte en prose.


- Auteur : Valéri Popov
- Editeur : Fayard
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Russe

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Résumé : Le récit est situé à Saint-Pétersbourg durant l’automne et l’hiver qui précèdent la célébration du tricentenaire de la ville. Le contraste entre la splendeur de la cité impériale et la réalité des rues défoncées par les travaux constitue un premier décalage dans un texte tout en dissonances et en déchirures. Au centre du livre on trouve le narrateur lui-même, un pauvre hère d’écrivain-tâcheron, et sa femme qui le persécute, prise dans le carcan de la psychose alcoolique. Leur double portrait, mené avec cruauté et impudeur, est celui d’une génération qui avait voulu croire que la « vie était belle » et qui, au seuil de la vieillesse, a perdu tous ses repères dans un monde radicalement nouveau. Troisième Souffle constitue le fragment le plus « actuel » de la « chronique des temps présents » qu’édifie, presque au jour le jour, le prosateur Valéri Popov à partir des événements et des circonstances de sa propre existence. Ici, le récit est recentré autour de sa femme, Nonna, dont l’alcoolisme, décrit avec une véridicité poignante, devient le lieu d’un questionnement sur la vie et ses choix, au quotidien et dans l’histoire.
Critique : Tout avait bien commencé pourtant : la jeunesse, l’amour, la fête, les amis, la danse et l’alcool. Ensuite, les années ont passé, plus rapidement que prévu, les fêtes se font faites plus rares, les amis, un à un, ont pris la fuite et la danse... "La maison est en béton, les escaliers sont en acier et l’épouse - en caoutchouc !" Tellement caoutchouteuse qu’elle n’arrive même plus à tenir sur ses jambes ou alors juste assez pour se nicher dans la cuisine, observer ce qui se passe dans l’immeuble voisin et se forger une paranoïa d’ivrogne.
Depuis peu, en effet, la vodka se marie avec la tisane et les bouteilles se cachent dans le buste de Léon Tolstoï. La situation s’aggrave, se rapproche petit à petit de la cause désespérée, mais Ventchik, le mari-écrivain-narrateur, ne semble pas prendre le taureau par les cornes. Interdire ? Il ne sait pas vraiment. Interner ? Il n’ose se rendre à l’évidence avant que les événements ne l’y précipitent, enfin. Tout ça pour revenir à la case départ... Fuir ? Seulement de temps en temps, à l’étranger, histoire de donner quelques conférences sur l’éthique et l’esthétique à la solde d’écologistes assoiffés de pouvoir ou d’argent.
Valéri Popov dresse ici le bien triste état d’une vie de sexagénaire russe. Avec humour heureusement, il raconte la marche du temps, les lieux qui rétrécissent et la nostalgie qui l’aide à survivre au milieu de ce marasme. Incapable de tourner son regard vers le monde qui l’entoure, de s’inscrire dans le tricentenaire d’une ville où se côtoient la splendide Perspective Nevski et les trottoirs défoncés, de s’accommoder d’une époque inféodée aux impératifs de la réussite sociale, il essaye de garder le sourire et ne s’interdit pas de rêver aux jours heureux. Au milieu de ces impasses, il ironise, se contente de description fugitive, court après le sourire de l’être aimé, les mots doux qui reviennent à la surface, et donne l’impression d’un enfermement irrémédiable. De Paris à Saint-Pétersbourg où l’attendent une femme et un père robuste de quatre-vingt-dix ans qui se promène avec son "bocal d’or jaune" (d’urine), de la cuisine à la salle de bains, de la salle de bains à la chambre, de la chambre au lit... Et puis du lit au lit ?
Valéri Popov, Troisième souffle (traduit du russe par Hélène Henry), Fayard, 2005, 337 pages, 20 €