Le Grand Rouge - Wouzit - la chronique BD

Critique Il est de ces albums qui ont des destins tragiques, et Le Grand Rouge semblait devoir être de ceux-là : pressenti pour être un bon succès de librairie après avoir conquis la presse et la critique en 2011, son éditeur ayant mis la clef sous la porte l’a empêché de toucher le grand public. Qu’importe, les éditions Dupuis ont su repêcher Wouzit, qui a enrichi son travail d’une trentaine de pages avec style renouvelé et une envie décuplée. Rien que pour cela, il mériterait de trôner dans les librairies... mais il n’y a pas que cela. En effet, Le Grand Rouge ne peut se ramener à des cases et des catégories car il casse trop de codes, à l’image d’un Moby Dick plus ancien ou d’un Portrait d’un buveur plus récemment. Pour faire court, un décor d’aventure sur les mers, entre pirates et pécheurs mal famés, anti-héros plus proches du tueur que de l’escroc, éléments fantastiques qui, au lieu d’être l’élément central de l’oeuvre, se trouvent comme relégués à un second plan, derrière le psychologique et derrière l’humain. Et c’est plutôt pour cela que Le Grand Rouge mérite sa réédition.

© Dupuis / Wouzit

Le style naïf des planches, pas si loin d’un Tronheim ou d’un Grosjean, atténue au départ la violence qui se dégage de cette histoire de vengeance, de cupidité, d’évasion et de piraterie. S’ils ne sont pas sympathiques, les personnages héritent tout de même d’une certaine indulgence du lecteur, ne serait-ce que grâce aux couleurs, dupé en ce sens comme le héros éponyme de l’album par ces petits êtres aux chairs fragiles qui ne cherchent qu’à s’échapper ou s’écharper. Au final, ce regard est donc surpris par ce qu’il finit par entrevoir, qu’il aurait dû voir, marquant le succès de ce style sur les a priori et les idées graphiques.

© Dupuis / Wouzit

Magnifique réédition d’un livre perdu, Le Grand Rouge est une de ces œuvres inclassables qui peuvent marquer une génération, car elles s’adressent à tout le monde et toutes les générations sans le crier ouvertement.