Lolita postmoderne
Le 4 juin 2016
La performance esthétique de The Neon Demon farde une certaine inconsistance. Mais qu’importe, cette plongée Suspirienne fascine jusqu’à l’obsession.
- Réalisateur : Nicolas Winding Refn
- Acteurs : Jena Malone, Elle Fanning, Karl Glusman, Bella Heathcote
- Genre : Thriller, Épouvante-horreur
- Nationalité : Danois
- Durée : 01h57mn
- Date de sortie : 8 juin 2016
- Festival : Festival de Cannes 2016
Année de production : 2016
La performance esthétique de The Neon Demon farde une certaine inconsistance. Mais qu’importe, cette plongée Suspirienne fascine jusqu’à l’obsession.
L’argument : Une jeune fille débarque à Los Angeles. Son rêve est de devenir mannequin. Son ascension fulgurante, sa beauté et sa pureté suscitent jalousies et convoitises. Certaines filles s’inclinent devant elle, d’autres sont prêtes à tout pour lui voler sa beauté.
- spip-bandeau
- Copyright The jokers
Notre avis : Toutes ces innombrables installations chics et chocs, avec à la clé quelques-uns des plus beaux plans de la carrière de Nicolas Winding Refn, ont quelque chose de vain. La sensation d’assister à l’une des plus incroyables satires de la mode et de la publicité, le tout en usant des mêmes armes que ces dernières, en fait un objet particulier à ne cependant pas mésestimer. The Neon Demon est un thriller à tendance giallo dont la structure se meut par ondulations serpentines. À chaque scène sa hauteur de ton elliptique, son niveau d’entrelacement spécifique. Chaque scène dialoguée ou développant l’intrigue - bien qu’efficace - ne sert au cinéaste qu’à faire avancer ses pions, nous faire accéder à la prochaine performance visuelle. Mais loin de ne se limiter qu’à une série de numéros virtuoses, The Neon Demon s’articule via de multiples angles de réalité, toujours fluctuants : le pont de vue zéro du récit, la vision fantasmée par Jesse - image d’un univers de la mode froid et aseptisé la promettant néanmoins à une grande carrière -, le regard féroce des photographes, et l’envers cauchemardesque et allégorique de ce manège pailleté. Une combinaison assez maligne et perméable dans laquelle le spectateur est convié de strate en strate. Il serait tentant d’y voir là l’écho de David Lynch, dont le Mulholland Drive explorait lui aussi les dessous d’une autre marotte de L.A., le cinéma, mais la comparaison ne tient pas tout à fait. Moins alambiqué et épineux, The Neon Demon tient plus d’un Lolita postmoderne qui croiserait le chemin de Black Swan - pour les rivalités schizophréniques - et Suspiria - pour la colorimétrie et les objets coupants fétiches (ciseaux, couteau, etc.).
Côté mise en scène, Winding Refn se laisse aller une fois de plus à un exercice de style grandiloquent, qui aussi somptueux soit-il, déborde de vanité et manque d’un semblant d’intelligence - les fulgurances graphiques de Only God Gorgives s’accompagnaient par exemple d’un récit, même si cryptique, assez profond. Mais la force des images, qui puisent tout à la fois dans l’esthétique publicitaire et dans la prise de distance d’artistes contemporains tels Piotr Kowalski et Matthew Barney, suffit à garder sauve l’œuvre. Qu’il soit question de ces scènes nimbées de noir desquelles émergent des néons tamisés enrobant les corps, où ces plans plus réalistes mais toujours très stylisés des intérieurs et des extérieurs à la Drive, c’est toujours un sentiment de fascination qui étreint le spectateur - en cela l’héritage kubrickien est manifeste. Une impression d’autant plus saisissante que les nappes musicales de Cliff Martinez, qui mêlent fureur et élégance, participent d’une intensification des sens à l’instar d’un Angelo Badalamenti. Reste, sous le gloss et les néons, un minimalisme un peu toc susceptible de diviser. Pas suffisant toutefois pour enlever à The Neon Demon cette improbable aptitude à associer mauvais goût assumé et sophistication extrême. Même sursaturés de formes géométriques et de couleurs, les plans n’atténuent jamais en rien la destinée tragique de Jesse, éclatante Elle Fanning. Ses rencontres avec ses concurrentes Ruby (sadique et espiègle Jena Malone), Gigi et Sarah renforcent même l’idée que Nicolas Winding Refn touche du doigt par moment la distance glacée d’un David Cronenberg. Si l’on ajoute à ce tableau une faculté inouïe à chorégraphier la mort et à toujours lui trouver le plus bel écrin - dès lors que le sang coule, Dario Argento n’est pas loin, même quand il est question d’anthropophagie -, The Neon Demon ne démérite pas. Puisse simplement le Danois densifier à l’avenir un peu son propos, et dépasser ce statut d’esthète génial mais suffisant.
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Marla 17 juin 2016
The Neon Demon - la critique du film
Bravo pour votre fine analyse. J’en propose une en vidéo.