Un fan-film de luxe en hommage à l’indéfendable
Le 4 mars 2018
Au delà de l’incroyable transformation de James Franco en Tommy Wiseau, il n’est pas sûr que les fans d’un film aussi anti-conformiste que The Room apprécient de le voir se faire réapproprier par ce que le cinéma américain a de plus mainstream.
- Réalisateur : James Franco
- Acteurs : James Franco, Ari Graynor, Dave Franco
- Genre : Comédie dramatique, Biopic
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Warner Bros. France
- Date de sortie : 7 mars 2018
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Résumé : En 2003, Tommy Wiseau, artiste passionné mais totalement étranger au milieu du cinéma, entreprend de réaliser un film. Sans savoir vraiment comment s’y prendre, il se lance… et signe THE ROOM, le plus grand nanar de tous les temps. Comme quoi, il n’y a pas qu’une seule méthode pour devenir une légende !
Notre avis : En moins de 15 ans, le phénomène The Room a fait son chemin, une séance de minuit après l’autre. Et l’édition des mémoires de son acteur Greg Sestero, en 2013 aux Etats-Unis et seulement en janvier 2018 en France, a encore alimenté le mythe qui l’entoure. Aujourd’hui, le nanar a acquis un statut de film culte pour des fans aux quatre coins du monde. Ils comptent notamment parmi eux la bande de Seth Rogen. Ce sont ceux qui ont décidé de pleinement assumer leur amour pour ce film honteux en adaptant le roman de Sestero en long-métrage. Ils commencèrent pour cela par en acheter les droits, via sa boite de production Point Grey Pictures, puis par confier la réalisation et le rôle-titre à James Franco.
Mais alors, vaut-t-il mieux ou non avoir vu The Room avant de se lancer dans le visionnage de The Disaster Artist ? Le choix des scénaristes (les mêmes qui signèrent (500) jours ensemble et Nos Etoiles Contraires) de rester fidèle au point de vue de l’auteur du livre se traduit par un récit articulé autour de sa bromance avec le réalisateur. Alors que les fans-moqueurs de The Room voudront avant tout en savoir plus sur les difficultés rencontrées sur son tournage chaotique, le film de James Franco n’en fait donc pas l’argument central. A point tel que le tournage n’apparait d’ailleurs qu’à mi-parcours. Ce qui est placé au cœur du scénario est davantage le regard ambivalent que porte Greg Sestero sur ce mystérieux personnage qu’est Tommy Wiseau.
- Copyright Justina Mintz / A24 / New Line Cinema
Quiconque connaît The Room, ne serait-ce que de nom, sait que son réalisateur/scénariste/ producteur/acteur principal/producteur exécutif/ monteur est un individu iconoclaste qui mérite d’être étudié. L’écriture du scénario place cet insondable histrion comme un antagoniste face au personnage principal qu’est celui de Greg Sestero, incarné par Dave Franco, qui partage pour l’occasion, et pour la première fois, l’écran avec son frère James. Dans un film plus classique, une telle construction dramaturgique impliquerait mécaniquement que ce soit Greg qui cristallise toute l’émotion du film. Or, en l’occurrence, le grand huit émotionnel de ce jeune homme naïf tour à tour fasciné et effrayé par cet inconnu ne parvient pas à se faire ressentir.
Ce manque de profondeur émotionnelle est le fruit d’une interprétation assez plate de la part de Dave Franco mais aussi et surtout d’une production qui semble trop sacraliser Tommy Wiseau pour oser en ternir l’image. Celui-ci apparaît ici comme un excentrique, certes lunatique, mais attachant. L’adaptation du roman aurait toutefois pu prendre une tournure bien plus intéressante si elle s’était risquée à faire de lui, soit un véritable mégalomane en constant conflit avec les techniciens de son tournage, soit une figure méphistophélique dont Greg ne parviendrait pas à se libérer.
Même s’il n’est pas au centre de la narration et que sa représention manque de piquant, le personnage de Tommy Wiseau n’en reste pas moins l’attraction du film, et ce grâce la prestation de James Franco. Le travail de transformation effectué par l’acteur est tout simplement sidérant. L’aisance avec laquelle il s’approprie le look ingrat, les mimiques mais aussi la voix et surtout –c’est là que c’est le plus impressionnant– le mauvais jeu de son personnage va jusqu’à le rendre difficilement discernable de celui-ci. James Franco ne joue pas Tommy Wiseau, il devient Tommy Wiseau. Cette performance de transformation ne pourra cependant être pleinement appréciée que par les spectateurs qui connaissent le vrai Wiseau. Les néophytes n’y verront sans doute qu’un improbable cabotinage.
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A l’inverse de ce qu’avait fait Tim Burton dans son Ed Wood, ce qu’essaie de faire James Franco ne consiste en rien à essayer de percer le mystère qui entoure le personnage-titre. Au contraire, son approche se plaît à l’idée de rendre Tommy Wiseau plus énigmatique encore. Le point commun entre ces deux biopics consacrés aux pires réalisateurs de leur époque respective est cependant un véritable amour pour le cinéma. L’idée de voir un homme dépourvu du moindre talent aller jusqu’au bout de ses ambitions en réalisant un long-métrage fait même de The Disaster Artist un véritable feel-good-movie vantant le rêve américain. Pourtant, le véritable happy-end n’est certainement à la fin du film mais au contraire dans son ouverture et, par la suite, dans la présence des nombreux caméos, qui représentent un bel hommage de la part de grands noms d’Hollywood.
La finalité de The Disaster Artist n’est donc ni d’alimenter la légende d’un tournage chaotique, ni de convaincre les non initiés de voir un film rebutant, mais bien de permettre à cette industrie hollywoodienne qui, à l’époque, fermait brutalement ses portes à Greg et Tommy de faire son mea culpa en exposant la réputation de The Room à un large public. Une intention qui ne semble pas tenir compte du fait que, aux yeux de nombreux fans, son statut de film culte est inhérent à celui de curiosité underground. Le travail avec lequel l’équipe s’est évertuée à en reproduire minutieusement certaines scènes n’a, artistiquement parlant, aucun intérêt, mais est symptomatique de cette volonté de faire découvrir le nanar à ceux qui ne l’auraient pas vu, sans pour autant les obliger à le voir dans son intégralité.
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Tout le paradoxe de The Disaster Artist est là : Son écriture qui suit un schéma de pure bromance et sa façon d’expliquer que The Room est devenu un phénomène en font un long-métrage qui s’adresse avant tout à des spectateurs qui ne connaitraient pas l’œuvre de Wiseau. Ceux-ci passeront toutefois à côté d’un bon nombre de références et autres clins d’œil, au risque même de trouver cette histoire rocambolesque, voire grotesque. Et pourtant, le film semble destiné à attirer avant tout de véritables fans de The Room, qui, pour ceux qui n’ont pas lu le livre de Sestero, se satisferont surtout d’en découvrir la part autobiographique à travers, notamment, la question de l’homosexualité non assumée de Wiseau. Ces mêmes fans seront cependant intransigeants vis-à-vis de chacune des libertés prises par Franco (qu’est-ce que cette paire de fesses dans la scène de sexe ?) mais surtout déçus par le fait que de nombreuses histoires qui participent au mythe (les licenciements en série des chefs opérateurs, la location pour cinq ans du panneau publicitaire à L.A...) ne soient reléguées ici qu’au rang d’anecdotes à peine évoquées.
Le problème de The Distaster Artist n’est donc pas tant dans sa mise en scène apathique que dans sa difficulté à trouver un public à satisfaire. On comprend alors que la Warner ait hésité près d’un an avant de le sortir dans l’Hexagone, où la fanbase de The Room est bien plus restreinte qu’aux Etats-Unis. Il est d’ailleurs plus que probable que, à long terme, le film soit davantage défendu par les inconditionnels de James Franco que par ceux de Tommy Wiseau. Mais il y a au moins un spectateur dont on est sûr qu’il apprécie The Disaster Artist, c’est bien sûr Wiseau lui-même, qui ne peut que se satisfaire de voir des cinéastes aussi populaires alimenter ainsi son insatiable narcissisme.
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