Le 22 mars 2020
Un premier roman intelligent et documenté sur une génération sacrifiée au nom d’Allah. Ce court récit nous plonge au cœur de l’Afghanistan dévasté par la guerre.
- Auteur : Sébastien Ortiz
- Editeur : Gallimard
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Date de sortie : 30 juin 2002
Résumé : Fils d’Ismaël le luthier de Kharâbât, Hâfiz passe son enfance dans les bazars de Peshawar où les siens ont pu reconstruire leur existence, après l’humiliation du départ de Kaboul puis la précarité de la vie dans un camp de réfugiés. Il y a là l’oncle Kamal le contrebandier, la tante Faitana dont la voix se perdit un jour dans les plis de sa robe, le dolent Abdur aux manières de fille et toute la bande des garçons du quartier. Il y a enfin Leylâ, la soeur chérie, contre laquelle il se blottit et qui pour lui convertit la nuit en lumière. Le parcours de Hâfiz bifurque le jour où il passe les portes de la madrassa. Pendant plusieurs années, il s’y imprègne de la parole de Dieu qui féconde la terre, se prend d’amour pour le Prophète et finit par entendre l’appel du Jihad qui tire les Croyants dans les chemins de Dieu et leur épargne la punition du tombeau. Et c’est en Tâleb qu’il entre dans Kaboul assujettie à l’ordre islamique.
Critique : Sébastien Ortiz signe, avec Tâleb, un premier roman intelligent et documenté sur une génération sacrifiée au nom d’Allah. Ce court récit nous plonge au cœur de l’Afghanistan dévasté par la guerre.
D’origine afghane, la famille d’Hâfiz est contrainte de se réfugier au Pakistan au moment de l’invasion soviétique à Kaboul. Hâfiz est âgé de six ans et comprend difficilement pourquoi son père, un luthier renommé, est obligé de fuir son pays natal et de sacrifier sa passion de la musique. Perdus dans l’anonymat d’un camp de réfugiés à Peshawar, Hâfiz et les siens s’organisent tant bien que mal pour affronter le dénuement de cette nouvelle situation.
Le décès prématuré de Leylâ, sa petite sœur, cause un chagrin insurmontable au jeune garçon. A quatorze ans, il décide de partir dans une madrasa pour y suivre l’enseignement coranique. Ses journées sont dès lors rythmées par l’enseignement de la parole divine. Entouré par d’autres frères tâleban venus de différents pays musulmans, Hâfiz écoute assidûment le discours des mollahs.
L’adolescent va, en quelques annnées, se transformer en combattant de Dieu et grossir les troupes de ces soldats dont l’unique désir est de s’emparer du pouvoir. Dans un Afghanistan meurtri par la guerre, les talibans font régner la terreur en imposant des règles draconiennes, sous couvert de la foi, aux populations civiles. Pourtant, Hâfiz est sujet au doute. La voie qu’il a choisie est-elle vraiment la seule porteuse de vérité et d’harmonie ?
On tombe facilement sous le charme de ce court roman. Sébastien Ortiz, dont la quatrième de couverture nous apprend qu’il "vit à l’étranger", connaît en tout cas fort bien ce pays dont il parle avec amour et nostalgie. Toute la tradition du conte oriental est présente, empreinte de lyrisme, de poésie et d’émotion. L’auteur ne cède jamais à la facilité du manichéisme entre Orient et Occident. Il raconte avant tout l’histoire d’un peuple qui souffre, dont les enfants se cherchent, pour lequel la religion constitue l’une des rares échappatoires.
Tâleb démonte le rouage de l’endoctrinement et toute la complexité politique de l’Afghanistan est éclairée ici sans parti pris. Hâfiz, à ce titre, symbolise l’adolescent qui, tout en tentant d’infléchir son destin, se retrouve enchaîné à ses frères jusque dans la mort. Les longues descriptions des madrasas dans lesquelles tout est minuté et organisé, l’intervention des mollahs, leurs discours de propagande, mènent le lecteur au plus profond des consciences de cette génération perdue. Le combat des talibans contre l’Alliance du Nord du commandant Massoud [1] inscrit ce récit dans une actualité brûlante. Lorsque vient le moment du doute pour Hâfiz, on fait en sorte d’éclairer son esprit afin qu’il ne change pas de chemin. Ici, le collectif prime sur l’individu.
On peut considérer Tâleb comme un véritable roman initiatique dans lequel, au nom du religieux, la personnalité des enfants est gommée. D’ailleurs, quand Hâfiz connaît son premier baptême du feu, même lui s’étonne de la candeur et de la jeunesse de ses frères d’armes. On suit le long trajet des soldats au cœur de la montagne, l’installation des campements de fortune, et les assauts dans les villes qu’il faut faire tomber. La mort ne les effraie pas, puisque le Paradis représente l’ultime délivrance. Hâfiz sera exécuté. Et le lecteur fermera le roman, avec la sensation qu’il restait à ce jeune garçon tout à connaître et à vivre.
Sébastien Ortiz, Tâleb, Gallimard, 2002, 177 pages, 14 €
[1] Lire notre critique de Massoud l’Afghan, de Christophe de Pontfilly
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Kishore Gaurav 12 août 2020
Tâleb - Sébastien Ortiz - critique livre
Je viens de lire Taleb de Sébastien Ortiz. C’est un texte exceptionnellement bien écrit.