Le 1er janvier 2020
Dix ans après sa première parution, Gallmeister donne une nouvelle vie à ce roman. Bouleversant, choquant, révoltant, mais inoubliable.


- Auteur : David Vann
- Editeur : Gallmeister
- Genre : Roman
- Nationalité : Américaine
- Prix : MÉDICIS ÉTRANGER
- Date de sortie : 3 janvier 2020
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur

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Résumé : Une île sauvage du Sud de l’Alaska, accessible uniquement par bateau ou par hydravion, toute en forêts humides et montagnes escarpées. C’est dans ce décor que Jim décide d’emmener son fils de treize ans pour y vivre dans une cabane isolée, une année durant. Après une succession d’échecs personnels, il voit là l’occasion de prendre un nouveau départ et de renouer avec ce garçon qu’il connaît si mal. Mais la rigueur de cette vie et les défaillances du père ne tardent pas à transformer ce séjour en cauchemar. Jusqu’au drame violent et imprévisible qui scellera leur destin.
Notre avis : À l’origine, ce roman fut publié en 2010, mais Gallmesiter a décidé de lui donner une seconde vie en l’enrichissant d’une préface écrite par Delphine de Vigan et en sortant conjointement un recueil de nouvelles de David Vann, Le bleu au-delà, toutes liées de près ou de loin à Sukkwan Island. Oliver Gallmeister considère que ce roman, « vous l’aimerez ou vous le détesterez, mais jamais vous ne l’oublierez ».
Jim (James Edwin Vann, nous l’apprendrons par la suite) part en exil sur Sukkwan Island, accompagné de Roy, son fils de treize ans. Ils se retrouvent seuls face à la nature, seuls face à la mer, à la montagne et à la forêt. Leur voisin le plus proche est à trente kilomètres de distance, l’eau les isole de tout et de tous. L’atmosphère est étouffante, rapidement l’air s’épaissit et devient presque irrespirable. Roy et Jim ne partagent rien, ne se connaissent pas en réalité. Le père n’a que des souvenirs de Roy à son plus jeune âge et Roy semble endosser un rôle presque paternel, souhaitant protéger Jim de lui-même, de ses idées noires et de ses crises de larmes nocturnes. Il ne sait pas vraiment comment réagir, se comporter, regrette d’avoir fait ce choix et d’avoir quitté pour une année entière sa mère, sa sœur et ses amis, son école et son quotidien confortable de Californien. Il a tout laissé derrière lui pour cette aventure en pleine nature, au large de l’Alaska et de ses dangers, de son climat dur, presque autant que l’effet qu’il a sur les personnes qui l’endurent – l’esprit de Pete Fromm plane au-dessus de ce roman, Pete Fromm en apprenti ranger, en autarcie, qui nous raconte son expérience dans Indian Creek. La solitude et le repli sur soi ne sont pas toujours bénéfiques pour tout le monde…
La tension monte, l’électricité emplit l’air. Le lecteur sent qu’un drame va se produire, ce n’est qu’une question de temps, de nombre de mots, de pages. Le fils et le père n’échangent plus que quelques onomatopées, l’entente se complique, les caractères se lassent.
Ce roman est avant tout un roman sur l’humanité et sur la confrontation de l’homme à sa nature la plus profonde. Les situations extrêmes poussent certains à bout, d’autres ne se révèlent que dans des circonstances particulièrement terribles.
Peut-être n’est-il pas judicieux de continuer à lire cette critique si vous ne connaissez pas le roman, si vous avez l’esprit presque vierge d’appréhension et d’a priori – même si rien n’est ici réellement révélé. Arrêtez-vous là en ayant la certitude de vous plonger dans un roman qui remet en cause ce que vous pensiez savoir, bouleversant et choquant, plein d’un suspense d’une atrocité enivrante.
Delphine de Vigan évoque un « phénoménal et désormais célèbre changement de point de vue » qui chamboule le lecteur et fait basculer l’équilibre du livre. Ce changement de point de vue en est même la raison d’être : sans lui, Sukkwan Island ne serait rien de plus qu’un récit un peu fade, le récit d’une relation père-fils qui bat de l’aile. Grâce à cette fameuse page 113 (désormais page 119 dans cette réédition), mais aussi malgré elle, le lecteur continue à dévorer, à faire défiler les phrases devant ses yeux, sans doute pour tenter de comprendre les raisons de l’auteur et poussé par une curiosité macabre – mais terriblement humaine. David Vann, nous le comprendrons en lisant les dernières lignes qu’il nous adresse, a tiré son inspiration de sa propre expérience, du suicide de son père, James Edwin Vann, alors qu’à treize ans, lui-même a refusé de l’accompagner en Alaska.
Que se serait-il passé s’il l’avait suivi ?
David Vann - Sukkwan Island
Éditions Gallmeister
224 pages