Le 12 novembre 2024
Après le très personnel Retour à Reims - fragments, Jean-Gabriel Périot fait parler des apprentis réalisateurs bosniaques à propos de films qu’ils ont tourné pendant la guerre avec une émotion tout aussi intacte. Plus qu’un documentaire, une œuvre d’utilité publique en faveur de la mémoire du monde.
- Réalisateur : Jean-Gabriel Périot
- Genre : Documentaire, Politique
- Nationalité : Français, Allemand, Suisse, Bosniaque
- Distributeur : Jour2fête
- Durée : 1h48mn
- Date de sortie : 13 novembre 2024
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Après le César obtenu pour RETOUR À REIMS – FRAGMENTS en 2023, Jean-Gabriel Périot réalise SE SOUVENIR D’UNE VILLE consacré au siège de Sarajevo. Pendant quatre ans, les habitants de la ville ont résisté, survécu et se sont bricolés un quotidien malgré les bombes et les privations. Sur le front ou à l’arrière, de jeunes cinéastes mobilisés se sont mis à filmer. Des images pour témoigner, sauvegarder des moments de leurs vies ou simplement se distraire et échapper à leur vie de soldat. Trente ans après, ils partagent avec nous leurs films, leur expérience du siège et leurs questions sur l’avenir.
Critique : D’abord, il y a ces saignées magnifiques de verdure où le soleil se mire dans les arbres. Puis soudain, la caméra quitte cette image bucolique pour restituer la parole de jeunes réalisateurs qui ont filmé la guerre à Sarajevo entre 1992 et 1996. Ce sont des courts-métrages conçus au milieu des cris et des morts, avec du matériel de fortune, qui regardent la Bosnie agonir au milieu de ses blessés, de ses embuscades et des immeubles qui brûlent. Les films regardent aussi la population qui ose encore s’amuser, qui cherche à se divertir quand elle ne pleure pas ses soldats disparus ou les civils tués. Puis, trente ans plus tard (déjà trente ans), Jean-Gabriel Périot retrouve ces cinéastes d’hier et leur donne la parole. Chacun alors se livre non seulement sur cette expérience inédite de cinéma, mais aussi les cicatrices encore ouvertes d’une guerre en Europe que les pays occidentaux ont regardé de loin.
Se souvenir d’une ville emprunte les mêmes ressorts cinématographiques que les travaux précédents du réalisateur, à savoir évoquer le monde d’aujourd’hui et d’hier à travers les fissures de la mémoire. Sauf qu’ici, le documentariste s’appuie sur des films tournés à l’arrachée dans un hôpital, un immeuble, un bus, ou à l’extrémité d’un passage d’aéroport où les exilés tentent de se sauver de la guerre. Le recours à des archives interroge de manière sensible la façon dont les artistes peuvent traiter la réalité : non seulement en en faisant un objet de connaissance pour les citoyens de demain, mais aussi une œuvre qui raconte, mieux qu’un journaliste, les affres de l’humanité. Les cinéastes confirmés témoignent que la création n’a pas besoin de moyens subséquents, mais simplement d’une inspiration et d’un désir de rendre compte de la tyrannie du monde, autrement que par la simple parole.
- Copyright Météore Films
Pendant ces presque deux heures, on pense au fameux poème de Paul Eluard Liberté, tant l’urgence du geste artistique est puissante chez ces réalisateurs. Eux seuls ont su se saisir des situations voire des tragédies qui se présentaient pour raconter l’irracontable, mettre des visages sur une guerre qui a broyé une partie de l’Europe pendant près de cinq ans. On pense évidemment au conflit qui déchire l’Ukraine, à quelques kilomètres des portes de l’Europe, où l’on serait tenté d’oublier que derrière les bombes, les palabres politiques, il y a des femmes, des hommes, des enfants qui se battent autant qu’ils peuvent, habités par le désir de vivre.
Le cinéaste donne alors à son travail une dimension supérieure. Il fabrique un film politique, au sens noble du terme, c’est-à-dire un film qui rappelle la nécessité de rendre signifiants les conflits dont se désintéressent les puissants. En ce sens, Se souvenir d’une ville illustre dans une langue simple, évidente, ce qui fonde la définition du documentaire, c’est-à-dire une forme de recréation de la réalité au service d’une parole engagée et poétique. Le choix de retenir telle image, d’en effacer telle autre, de procéder à telle coupure dans le montage relève d’un langage artistique sincère au bénéfice d’une vérité qui peine à traverser les consciences.
- Copyright Météore Films
Le césarisé Jean-Gabriel Périot renouvelle son langage de cinéaste dans une œuvre beaucoup plus dense, beaucoup plus brute. Il raconte un conflit d’hier, comme un encouragement à peine dissimulé à nous intéresser aux tragédies nombreuses qui déchirent le monde. Il témoigne de la nécessité de l’expression artistique pour désigner des réalités qui ne parviennent pas à franchir les frontières de la pensée. Il choisit explicitement de montrer l’équipe qui filme les réalisateurs, rendant compte par là même que trente ans plus tôt, les jeunes cinéastes se trouvaient munis des mêmes armes, mais dans le vacarme assourdissant de la guerre. Le contraste est d’autant plus saisissant qu’il constitue la matière essentielle de Se souvenir d’une ville.
Alors, ne faisons rien d’autre que nous souvenir de cette ville, Sarajevo, et toutes les autres qui brûlent dans l’indifférence du monde.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.