Satanie - La chronique BD

La descente dans les profondeurs de la Terre ne se passera pas comme prévu pour l’expédition de l’abbé Montsouris. Alors en fait non, le personnage principal, bien calé dans la couverture, ce serait plutôt Charlotte, qui part à la recherche de son frère. Ce dernier est persuadé de trouver dans les entrailles de notre monde une société utopique, un monde nouveau, préservé, idéal. Avec des démons somme toute sympathiques. Des démons, « Charlie » en a déjà qui sommeillent en elle, du coup les humanoïdes à corne, ça ne l’effraie pas plus que ça. Pas plus que des faunes et flores incroyables et dangereusement originales, des hommes au teint de cire ou la folie de ceux qui ont été coincés trop longtemps loin du soleil. Alice avait son pays des merveilles, Charlie aura sa Satanie. Le, ou plutôt les mondes créés par le duo Vehlmann-Kerascoët fourmillent de détails inventés, de références, et les différents membres de l’expédition vont les découvrir à grande vitesse, emportés par un tourbillon d’aventure caverneuse, de descente vertigineuse et de découvertes sinueuses. À la croisée d’un Voyage au centre de la terre de Jules Verne et d’une certaine partie de la Divine Comédie de Dante, auquel on peut ajouter un goût pour la faune et la flore atypiques des quelques mondes d’Aldébaran de Léo, Satanie se veut une expédition à la fois onirique, philosophique et artistique. Car les choix des personnages sont déroutant, leurs attitudes parfois choquantes, mais le tout est détonant et clairement innovant.

© Soleil

Pour ce qui est de la découverte graphique de la Satanie, les effets sont bluffants. Les sombres grottes du début laissent place à un monde creusé dans une gorge de sel immaculée, avant d’entrer dans le cœur brûlant et rouge du Pandémonium. Pourtant certains pages regorgent de couleurs, certaines scènes ont au contraire des tonalités très noires et blanches, mais les fonds noirs des planches permettent de vraiment mettre en valeur le décor de ce monde à part. Sans surprise, le choix de mettre en avant la nature, dans toute sa rudesse ou sa nudité, est un gage d’esthétisme saisissant et très solide graphiquement. Le manque de diversité des émotions des personnages en est complètement gommé, puisque ils ne sont que des êtres de passage dans ce qui constitue un ensemble beaucoup plus vaste, tellement éloigné de la réalité du monde de la surface et de ses codes.

© Soleil

Élégant, contrasté, le périple de Charlotte en Satanie est finement exécuté, presque trop rapide puisque la page finale arrive avec surprise, et on se plairait à espérer une suite... mais la surface n’intéresserait pas, puisque seul l’Enfer compte, au final. Car c’est bien la force de cet album, aussi attrayant que dérangeant, quasi érotique et pourtant très horrifique par certains aspects, il est à l’image du monde dépeint, celui du diable en personne.