SALUD ! - La chronique BD.

Milieu des années 1970. Antoine est un jeune français d’extraction modeste, prêt à tout pour gravir l’échelle sociale. Livreur de vin et d’alcools, il est charmeur, beau parleur, intelligent. Sa seule faiblesse, qui pour lui ne semble pas en être une, est son goût immodéré pour l’alcool et sa faculté à boire sans discontinuer. Il rencontre Iria, une Espagnole de bonne famille, de dix-huit ans son aînée, qu’il épouse et suit dans son pays natal, l’Espagne de Franco, un pays alors encore sous dictature, surveillé étroitement par une police implacable.

Aidés par les parents d’Iria, ils montent un restaurant mêlant influences françaises et espagnoles. C’est très vite un succès. Ivre de réussite, gagnant plus d’argent qu’il ne peut en dépenser, Antoine sombre, de plus en plus, dans l’alcoolisme. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas l’alcool chaleureux. Il se met à battre sa femme, qui, lassée, finit par le mettre dehors. L’Europe n’est encore à l’époque qu’un lointain projet : Antoine est un étranger, et rien n’est à son nom. Il perd tout, et achève sa descente aux enfers à Paris, dans la rue.

Le parti pris des auteurs est inhabituel, voire surprenant. En effet, il est quasiment impossible d’éprouver la moindre empathie ou sympathie pour leur personnage principal, un arriviste flambeur, violent, égoïste et alcoolique, qui se sert de sa femme et de sa belle-famille pour arriver à ses fins, avant d’être stoppé net en pleine ascension.

Antoine arrive néanmoins à nous inspirer une vague pitié durant sa descente aux enfers, et notamment quand il se retrouve dans la rue, traînant sa vieille valise de luxe cabossée,seule relique dérisoire de sa splendeur passée.

Mais cette pitié ne dure pas. On a l’impression que cela lui sert de leçon, qu’il prend conscience de l’étendue de son problème, notamment quand il identifie finalement son pire ennemi : "le troisième verre". Mais cela ne dure pas, et c’est bien vite à pieds joints et en parfaite connaissance de cause qu’il replonge dans l’alcool.

Est-ce forme de suicide ? Un échappatoire pour occulter son quotidien et ses remords ? Une façon pour lui de revivre ses succès espagnols ? Ou tout simplement son alcoolisme qui le rattrape ? L’histoire ne le dit pas et s’achève sur un Antoine toujours cramponné à son verre et à son comptoir, un Antoine conscient de ses erreurs, mais qui n’a pas pour autant trouvé la rédemption. Et c’est peut être en ça que ce personnage, magnifiquement mis en images et en couleurs par Nadar, est si fascinant. Il est tout simplement humain, avec ses défauts, ses addictions, ses désirs, ses pulsions. Ni blanc ni tout à fait noir, il ressemble à n’importe qui, et ses faiblesses lui font prendre, plus ou moins consciemment, la direction qui l’éloigne de l’happy ending qu’il souhaitait et arrivait presque à toucher du doigt. Un album magistral, à lire de toute urgence.