Le film était presque parfait
Le 6 juin 2006
L’histoire d’une "prise de Rome" par une bande de voyous sur fond de tourments politiques en Italie, entre 1970 et 1992. Drogue, politique, mafia et beaucoup d’argent.


- Auteur : Giancarlo De Cataldo
- Editeur : Métailié
- Genre : Polar, Roman & fiction
- Nationalité : Italienne

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– Regards croisés : Romanzo criminale, le film de Michele Placido (2006)
S’agit-il de dire tous les défauts d’un polar efficace, ou de dire tout le bien qu’on pense... d’un roman politique ? Comme beaucoup de livres qui font le roman policier d’aujourd’hui, ce "roman criminel" est un produit sans la saveur qui a fait les grands titres du genre. Pourtant le scénario tient jusqu’au bout du film, le rythme est soutenu et ne faiblit pas, les personnages existent avec une vraisemblance louable - bref : un livre long et touffu qui sait pour le moins raconter une histoire. L’Histoire : celle d’une geste italienne entre fascisme endémique, éternel comme les ruines romaines qui observent ses soubresauts violents, mafias diverses que la politique réunit en un joyeux quadrille de sang, de pouvoir et de drogue, et une extrême gauche considérée comme un phénomène transitoire vite terrassé par le dragon du mal absolu. C’est l’intérêt de Romanzo criminale, œuvre d’expert (l’auteur est juge auprès de la cour d’assises de Rome), d’offrir une vision de l’Italie entre 1970 et 1992 extrêmement structurée : les Rouges, les fascistes qu’anime un anti-communisme radical, et les mafias pour qui le territoire et l’argent sont des notions précises et des sciences exactes.
Vision pas très nouvelle, mais dont un genre romanesque scorsesien parvient à restituer la logique avec une indéniable force de conviction. Fascisme, communisme, mafias : Sainte-Trinité que l’Etat - et sa (dé)raison machiavélique - recueille et organise avec le cynisme, le mensonge et la dissimulation très rationnels qu’il faut. La recette est éminemment italienne, et les ingrédients choisis par l’auteur - putes de classe, voyous arrivistes et futés, incorruptibles, affranchis et hommes d’honneur de tous bords - restent somme toute très classiques. Mais ça marche, et l’histoire d’une "prise de Rome" par une bande que domine l’appât du gain et plus encore de ce pouvoir mythique que d’autres ont mis en images en Amérique pourrait rappeler La moisson rouge de Dashiell Hammett, n’étaient ses irréductibles faiblesses, qui tiennent en un mot : écrivain. Certes, romancier, de surcroît doté d’un indéniable (quoiqu’un peu forcé) sens de l’histoire, Giancarlo De Cataldo l’est assurément, avec une maîtrise des ficelles et des tuyaux qui dénotent un certain labeur. Mais l’écrivain est absent de cette fiction réussie qui tient en haleine par ce qu’elle raconte, non par ce qu’elle dit. Peu de style, quelques poncifs, mais un talent de conteur même si au final on regarde avec suspicion cette machine où les pièces du puzzle s’emboîtent avec un peu trop de facilité... historique et cinématographique.
Giancarlo De Cataldo, Romanzo criminale (traduit de l’italien par Catherine Siné & Serge Quadruppani), Métailié, 2006, 585 pages, 23 €