Le 1er juin 2021
- Acteur : Romain Bouteille
- Voir le dossier : Nécrologie
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Cofondateur du Café de la Gare, inspirateur de toute une génération d’artistes, dont Coluche, le comédien, humoriste et auteur Romain Bouteille est mort le 31 mai 2021, à l’âge de 84 ans.
News : On ignore si le cofondateur du Café de la Gare, avec d’autres artistes devenus des célébrités, avait lu l’anarchiste Albert Thierry. Sans doute que ses idées libertaires ont croisé celles de l’instituteur et syndicaliste français, théoricien du "refus de parvenir", dont le parcours de Bouteille semble avoir été une démonstration par l’exemple, ignorant tout appel de la notoriété, lui opposant même une très consistante défiance, alors qu’il demeurait, malgré lui, une figure tutélaire et revendiquée, notamment par un certain Michel Colucci.
Celui qui vient de s’éteindre à l’âge de 84 ans, aura non seulement illustré son sens de la troupe, sans jamais s’accorder le droit d’en être le chef, mais il aura volontairement évolué dans l’ombre de toutes ces jeunes pousses artistiques qu’il aura contribué à faire éclore, avant que les comédiens, devenus célèbres, ne prennent racine ailleurs, certains demeurant tout de même attachés au Café et aux souvenirs heureux qu’ils avaient vécus (Dewaere revint y jouer régulièrement, quasiment jusqu’à la fin de sa courte existence). Elle est longue comme un bras, cette liste de stars qui doivent leur dette à Bouteille, de Guybet à Depardieu, en passant par Miou-Miou et toute la troupe du Splendid. La légende est bien connue, qui commence dans le plâtre d’un petit théâtre construit au cœur du Marais, en 1969, et s’achève, tout au moins dans un premier temps, par le départ d’un futur clown à salopette, bientôt promis aux feux de la rampe. Lequel, pas chien, ne cessera de reconnaître l’importance de son créancier, jusqu’à appeler son propre fils Romain, en forme d’hommage. "Ce qu’il ne m’a pas appris, je le lui ai piqué", avouera le futur fondateur des Restos du Cœur, dans une de ces formules dont il était coutumier. Et qu’avait-il donc retenu de l’art bouteillien ? Une diction particulière, enveloppée d’une fameuse voix rauque, qui parfois s’interrompait brusquement au bord du gouffre, prise dans le piège d’un langage devenu abscons. Demeurait alors une forme de stupeur, inscrite sur le visage naturellement effarouché de Bouteille, cette figure, dont le journaliste Philippe Boggio écrira qu’elle était celle d’un type qui "aurait croisé la comète de Halley et ne s’en serait jamais remis". Le fameux sketch de Coluche, "C’est l’histoire d’un mec", en forme d’hommage aux monologues du pote Romain, ne sera que rarement relié à sa source inspiratrice. Car le grand public ne connaît pas Bouteille, ne le connaîtra jamais vraiment.
Enfant naturel du théâtre de l’absurde, qui joua Dubillard en 1962 ("La Maison d’os"), Bouteille demeura toute sa vie fidèle à cet esprit, enchaînant des spectacles filandreux, souvent au bord de l’angoisse, sans jamais y sombrer : dans "L’Esprit qui mord", un one-man-show de 1984, le comédien interprétait rien moins que Dieu d’une manière à la fois burlesque et philosophique. Le Tout-Puissant, plutôt engoncé, saluait notamment l’arrivée de Jean-Paul Sartre au paradis, avant de se lancer dans une bataille d’idées avec son hôte, pour finalement s’en agacer et l’éconduire.
L’humoriste signa une trentaine de pièces sur les planches, dont certaines, jouées au 41, rue du Temple, sont devenues des classiques du café-théâtre : Robin des quoi ? (1970), Les Semelles de la nuit (1974), Pitoyable mascarade (1977, avec la fidèle Sotha). Quelquefois présent au cinéma, le plus souvent dans des apparitions, Bouteille travailla notamment sous la direction de Louis Malle (Le Feu follet, 1963), Jacques Demy (Peau d’âne, 1970), Roman Polanski (Le Locataire, 1976) et interpréta plusieurs personnages dans le radical et culte Themroc de Claude Faraldo, où il partageait l’affiche avec ses copains du Café de la Gare. L’une des ses plus fameuses prestations ébroua la torpeur du nanar Promotion canapé de Didier Kaminka, en 1990 : dans le rôle d’un rôdeur nocturne et inquiétant, il surprenait les deux protagonistes à qui il offrait un monologue sibyllin, créant la perplexité de ses interlocuteurs. Du Bouteille tout craché ! En 2014, avec son épouse, la comédienne Saïda Churchill, l’artiste avait créé le théâtre Les Grands Solistes, dans le centre de la ville d’Étampes. François Rollin, Didier Porte et Vincent Roca s’y étaient notamment produits.
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