Le 29 juin 2018
- Dessinateur : Enrico Marini
- Série : BATMAN
- Editeur : Dargaud
A l’occasion de la sortie du tome 2 de son Dark prince charming chez Dargaud, nous avons rencontré Enrico Marini. Il nous livre ses secrets de fabrication et nous parle de sa vision de l’homme chauve-souris.
Quelles étaient vos références de l’icône Batman ?
Je ne connais évidemment pas toutes les histoires de Batman, parce qu’il y en a des milliers et des milliers donc il est difficile de toutes les connaitre et surtout maintenant avec tous les univers parallèles. On ne comprend plus rien d’ailleurs. Je pense que même eux ne comprennent plus rien. Quand j’étais gamin je lisais beaucoup de comics, dont Spider-Man, mais Batman était mon personnage préféré. J’aimais particulièrement l’époque dessinée par Jim Aparo et puis de Neal Adams, Dick Giordano. Le scénariste Denny O’Neil aussi. Puis ensuite Frank Miller, surtout Année un avec David Mazzucchelli. Killing Joke aussi est fabuleux. J’ai aussi été influencé par les films de Tim Burton et Christopher Nolan bien sûr.
En vous lançant dans l’écriture, avez-vous essayé justement de vous démarquer de ces références ?
J’ai voulu revenir aux racines mais sans aller jusqu’aux toutes premières aventures. Je ne voulais pas non plus m’inspirer des années soixante qui étaient plus colorées, presque parodiques. Se démarquer du personnage de Batman a été difficile parce que je le voulais assez sombre et mystérieux. D’ailleurs, je le représente dans l’ombre, on ne voit pas ses yeux. Il est plus détaché, presque introverti, statuaire. Je voulais que son costume ne soit pas trop détaillé, sans gadgets. En revanche, le Joker je le voulais plus coloré, je le voulais différent pour qu’on reconnaisse ma touche personnelle. J’ai fait beaucoup d’essais et j’ai décidé de lui faire un maquillage. Ce n’est pas tout à fait le même joker que celui raconté par Alan Moore ni celui de Tim Burton où on voit Jack Nicholson tomber dans l’acide. Beaucoup d’histoires se basent sur cette origine-là pour sa création. C’est d’autant plus explicite que c’est Batman qui le pousse. Comme je ne racontais pas l’origine de ces personnages, je voulais trouver une approche plus réaliste. Je voyais le joker comme un psychopathe bien sûr mais pas avec la peau brûlée. Il est pâle peut-être, mais il se maquille, un peu comme un clown. Je trouvais que ça n’enlevait rien à sa folie. Comme il n’y a pas de personnages avec des supers pouvoirs dans mon histoire, je trouvais inutile d’en faire une sorte de mutant. C’était ma façon de me démarquer.
Il est un peu punk aussi, non ?
Oui il est très punk avec ses tatouages mais il est plein de choses. Il est plein de personnalités différentes et il en change toutes les cinq minutes. C’est un danseur, il cache plusieurs talents, plusieurs folies mais il ne se contrôle pas. C’est un assassin, il est violent mais il peut aussi être drôle, charmeur, mélancolique. Il est même sexy par moment donc il a un côté vraiment Cartoon. Par moment, on le voit très doux avec la petite fille mais on se demande ce qu’il va lui faire cinq minutes après. Il échafaude un plan machiavélique mais il oublie aussitôt et fait tout tomber à l’eau. Il est complètement imprévisible et du coup je n’en ai pas fait un grand stratège. Je n’aurais pas pu autant m’amuser avec le Pingouin ou Bane. Batman a les adversaires les plus beaux selon moi. Il a une galerie d’adversaires magnifiques avec Poison Ivy, Catwoman... Quel autre super-héros à une telle galerie ? Et parmi celle-ci, le joker est le plus intéressant car il a de nombreuses facettes. Et surtout on ne doit pas l’expliquer !
On ressent effectivement une envie de redonner un coté mystique à cet univers ?
Oui dans les films de Christopher Nolan ils ont voulu installer un nouvel univers et ils avaient la place pour le faire, pour l’amener plus loin. Moi sur deux albums je ne pouvais pas rentrer dans des explications ou raconter les origines des personnages. Ça n’avait pas beaucoup de sens non plus parce que ça a déjà été beaucoup raconté. Une histoire sur deux raconte la mort des parents de Bruce Wayne sous ses yeux. Je pense que c’est intégré par le lecteur maintenant. Et quand bien même ce ne serait pas le cas, ce n’est pas grave. On comprend que c’est un justicier qui se bat pour la bonne cause mais qu’il est quand même un peu lézardé. On voit qu’il a des problèmes. On le sent mais ce n’est pas nécessaire de connaitre son historique. D’autant plus que mon histoire ne se situe dans aucune chronologie particulière chez DC. Elle se tient en elle-même. Pas besoin d’expliquer qui est le gentil et qui est le méchant.
Parfois, on se demande quand même... Vous rendez le joker attachant, il se bat par amour. Bruce Wayne n’est quand même pas décrit comme quelqu’un de sympathique ?
Non effectivement il n’est pas sympathique. Il ne perd pas son temps, il a une cause et sacrifie tout pour son combat, à commencer par sa vie. Dans le premier tome, il rencontre cette femme qui lui présente sa supposée fille et quelqu’un dans sa position a probablement déjà été confronté à des situations où on essaye de lui soutirer de l’argent. Il est embêté mais il a autre chose à faire. Ça le rend antipathique mais c’était volontaire. Ça n’aurait pas été crédible s’il avait été quelqu’un de bienveillant et doux dans la vraie vie alors qu’il est obsédé par le fait de chasser les criminels. Il deviendrait absolument parfait. Je voulais casser ça en le rendant froid. A la fin il se lâche un peu, il est réhabilité en quelque sorte. Il se rend compte que c’est à cause de son comportement en tant que Bruce Wayne que tout ça est arrivé. Il se sent responsable de cette gamine et de sa situation.
C’était une volonté de faire une histoire intimiste ?
Oui c’était un vrai choix. J’ai voulu que ça change de ce qui s’est beaucoup fait. Je ne suis sûrement pas le premier à faire une histoire de ce type mais je ne voulais pas de grand méchant qui veut détruire Gotham ou la planète entière. Ça prend souvent des dimensions épiques et moi je voulais un petit jeu entre les quatre personnages. Surtout entre Batman et le Joker, avec la petite au milieu bien sûr, mais aussi avec les partenaires, Catwoman et Harley Queen qui sont au cœur de l’aventure. Les deux femmes veulent la même chose, le diamant et le Joker fait tout pour satisfaire sa fiancée. Il y a un effet miroir entre les deux couples. C’est une sous-intrigue qui permet d’en découvrir un peu plus sur la dramaturgie.
Elles apportent un ton plus léger ?
Oui j’ai hésité entre deux approches. Une qui soit cruelle, violente et finalement un peu glauque parce qu’avec le Joker ça peut vite être sanguinolent. J’ai opté pour une autre, assez sombre et violente tout de même parce qu’il tue pas mal de monde mais avec une touche d’humour. J’ai trouvé qu’il était souvent décrit comme un monstre dernièrement chez DC. Ces histoires sont très bien faites mais il n’y a presque plus de situations légères. Déjà que Batman n’est pas un personnage très drôle, si en plus on lui met en face quelqu’un de malsain ça laisse plus beaucoup de place pour des gags. Je me suis aussi dit : je vais travailler sur cette série pendant un an et demi... Est-ce que j’ai vraiment envie de m’enfoncer dans les bas-fonds de Gotham et faire des cauchemars toutes les nuits ? Je voulais m’amuser sans pour autant en faire une comédie, bien sûr. Intégrer des scénettes légères, même si elles sont peu utiles à l’histoire, permet surtout d’aérer le récit pour mieux digérer ensuite les scènes violentes.
Depuis Les aigles de Rome vous êtes scénariste, qu’est-ce que ça a changé pour vous ce nouveau rôle ?
En réalité sur Le Scorpion j’étais déjà coscénariste. J’ai apporté beaucoup d’idées et c’est en quelque sorte ma création. On se partageait les intrigues et je retravaillais souvent les scénarios donc le passage au rôle de scénariste complet sur Les aigles de Rome n’a pas été si compliqué. Même sur Gipsy je me mêlais beaucoup de l’histoire et j’apportais mon grain de sel en permanence.
Par conséquent, est-ce que vous aviez en tête le dessin au moment de l’écriture ou est-ce que le scénariste préfigure le dessinateur ?
Tout est dans le même cerveau mais j’écris l’histoire complète avant de faire le moindre dessin. J’ai dû faire quelques croquis comme ça pour le plaisir et parce que je n’arrivais pas à attendre mais l’histoire vient avant tout. Je voulais savoir si l’histoire tenait, si ça se bouclait bien avant de se lancer dans le dessin. Batman c’est vraiment une exception dans mon parcours parce qu’il fallait que l’histoire plaise à DC. J’ai écrit une histoire complète sans découper en volume ou en planches. Je voulais avant tout leur montrer que je connaissais le sujet et connaitre leur opinion avant d’aller plus loin. La différence, c’est que normalement si un éditeur ne prend pas ton scénario, tu vas en voir un autre. Ça ne veut pas dire que tu écoutes pas les arguments de l’éditeur pour l’améliorer. Je suis toujours à l’écoute et prêt à faire des modifications si elles sont justifiées. Mais là si DC n’avait pas voulu de mon histoire, je n’avais plus qu’à la jeter. C’était une histoire de Batman, je n’aurais pas pu l’adapter à des personnages similaires européens en changeant les noms. Ça n’aurait pas eu de sens. Donc j’étais très heureux qu’ils aiment et qu’ils acceptent tout. Ils m’ont laissé carte blanche. Ils ont fait une ou deux remarques, notamment sur un détail à la fin et j’étais assez d’accord avec eux, donc j’ai fait la modification de moi-même. Je pense que j’ai eu une telle marge de manœuvre parce qu’ils ont vu que je respectais les personnages et l’univers. Un Batman en short ne serait pas passé.
Et pas dans une comédie musicale ?
Non effectivement ce n’était pas l’idée. Encore que, tout est possible. Non mais si j’avais fait faire à Batman des choses qu’il ne fait pas ou alors si j’avais abordé des thématiques qui ne collent pas, ça ne serait pas passé. Si je l’avais rendu pervers ou bien si je l’avais rendu nazi... La provocation ça peut avoir du bon s’il y a un fond, que ça amène les gens à réfléchir comme un Alan Moore le fait très bien ou même un Frank Miller. Si c’est juste pour choquer ça ne sert à rien et moi ça ne m’intéresse pas.
Sans spoiler le lecteur, à la fin du second tome il y a un twist qui remet en cause pas mal de choses. Est-ce que le lecteur doit se faire sa propre opinion ou bien pour vous il y a une réponse ?
Oui oui moi j’ai la réponse, sans aucun doute. Mais je ne le dirai pas (rire)
Quels sont vos prochains projets ?
Je vais travailler sur le tome douze du Scorpion qui sera mon dernier sur la série. Je vais me mettre au scénario et après je le dessinerai. Je termine un arc et on verra pour la suite si quelqu’un le reprend. Je reviendrai sûrement plus tard avec un hors-série ou une aventure à moi, on verra. Je ne veux absolument pas quitter Le Scorpion dans l’absolu mais je ne peux pas tenir le rythme d’une telle série avec tous les projets et les envies que j’ai.
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