Retour aux sources
Le 14 mars 2005
Remonter un fleuve comme on remonterait le cours de sa vie. Un roman d’une poésie rare et surprenante.


- Auteur : Mathias Enard
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Nationalité : Française

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"Quand tu aimes, il faut partir". Les fameux vers de Blaise Cendrars reviennent comme une litanie obsédante au fil des pages de ce roman d’une poésie rare et surprenante.
Remonter un fleuve comme on remonterait le cours de sa vie. Retourner aux origines de la vie, de sa vie en tout cas. C’est ce qu’entreprend Joana, une jeune infirmière parisienne d’adoption, en ce mois d’août 2003 caniculaire. Pour elle, ce sera l’Orénoque, ce grand fleuve mythique qui traverse le Venezuela d’Est en Ouest. Une seule conviction la guide : "Remonter le fleuve qui a bercé son enfance, parcourir les territoires imaginés, presque imaginaires, toucher les noms, la famille que lui a légués son père [...], il fallait partir, et elle l’a fait." Elle laisse derrière elle un pays plongé dans la torpeur, un Paris accablé sous la chaleur, un hôpital en pleine débâcle qui ne sait plus comment gérer le flux des malades et des morts... et deux hommes : Youri et Ignacio.
Ils sont tous deux chirurgiens dans le même hôpital. Leur métier n’est pas leur seul point commun, ils sont plus que collègues, amis peut-être, difficile à dire. Ils cherchent tous les deux à donner du sens à leur existence dans leur pratique quotidienne de la médecine. Mais, finalement, la ressemblance s’arrête là. Même l’amour qu’il porte Joana ne revêt pas la même apparence. Car les trois personnages sont les acteurs d’un triangle amoureux, qui, au fil des pages, n’a rien de classique. Marié et père de famille tranquille, Ignacio tombe éperdument amoureux de Joana dont le cœur bat pour Youri. Youri, le passionné, le chirurgien brillant, plus jeune, mais rongé par la folie et l’alcool, et qui s’enfonce chaque jour un peu plus, incapable du moindre sentiment au point de s’autodétruire.
Remonter l’Orénoque tient à la fois de la descente aux Enfers et de la résurrection. En entamant ce voyage vers l’Amazonie au côté de Mathias Enard, dont c’est ici le deuxième roman [1], il faut laisser ses certitudes sur le quai d’embarquement. Et à l’image de Joana, partir sans bagages, le plus léger possible pour supporter les roulis de la mer et la plume de ce jeune écrivain. Une écriture poétique, parfois tranquille, mais qui frémit sous l’effet de la passion, jusqu’au grondement final, époustouflant à vous faire passer par-dessus bord.
Mathias Enard, Remonter l’Orénoque, Actes Sud, 2005, 154 pages, 16,80 €
[1] Après La perfection du tir paru chez Actes Sud également, en 2003