Le chant sautillant de l’exilé - Hommage au réalisateur Jonas Mekas (1922-2019)
Le 23 janvier 2019
Jonas Mekas, l’exilé, retrouve les lieux de son enfance dans un des épisodes les plus bouleversants du journal filmé qu’il tient maintenant depuis soixante ans.
- Réalisateur : Jonas Mekas
- Genre : Expérimental
- Nationalité : Américain, Britannique, Allemand, Lituanien
- Durée : 1h22mn
- Plus d'informations : http://jonasmekasfilms.com/diary/
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– Production : Vaughan Films (Londres), Norddeutscher Rundfunk (NDR) (Hambourg)
L’argument : Jonas et Adolfas Mekas sont arrivés en Amérique en 1949 en tant que réfugiés politiques. Anciens prisonniers des camps de travail allemands, exilés de leur village natal en Lituanie, recherchés par la police soviétiques, ils avaient été contraints de quitter leur foyer des années plus tôt, pour n’y revenir que 27 ans plus tard. Reminiscences of a journey to Lithuania, tourné entre 1971 et 1972, est le témoignage fascinant de la divisions d’une famille et de ses retrouvailles longtemps reportées.
Notre avis : En 1971, Jonas Mekas, cofondateur, en 1962, de la Film-Makers’ Cooperative, puis, en 1970 de l’Anthology Film Archives, auteur de plusieurs recueils de poèmes en lituanien (le premier publié dès 1948, en Allemagne), avait acquis une certaine notoriété de cinéaste underground grâce à ses magnifiques journaux filmés, en particulier The Brig (1964), et l’ample Walden - Diaries, Notes & Sketches (1969).
Invité à Moscou en 1971, il avait réussi à se faire accompagner de son frère Adolfas (l’auteur de Hallelujah the hills, 1963, décédé en mai 2011) et à obtenir l’autorisation de passer quelques jours dans leur Lituanie natale qu’ils avaient quittée en 1944. Ils y retrouvaient leur mère octogénaire (née en 1887, comme l’indique un carton), les membres de la famille, les amis restés là-bas et aussi les souvenirs, les odeurs qui n’étaient pas de Brooklyn et ne les avaient jamais quittés (the memories, the smells were not from Brooklyn dit le commentaire dans la première partie consacrée aux premières années américaines) .
Les fragments filmés au cours de ce bref séjour forment, montés en 90 brèves séquences entrecoupées de cartons, la partie centrale de ce bouleversant film de famille, aux images souvent tremblotantes et saturées de couleurs, habitées par un émerveillement fiévreux qui n’en revient pas de ressusciter un monde campagnard hors du temps et de capter la magie fragile d’instants de joie enfantine placés sous le signe du travail des champs, de la fête, du jeu, du chant.
Récit au passé à la première personne, le magnifique commentaire en voix off accompagne les images sans les assujettir, les éloigne dans le temps pour les rendre plus présentes encore, plus intense leur résonance poétique, faire ressortir davantage leur fragilité, leur caractère miraculeux.
Matrice de toute l’œuvre de Mekas, le motif de l’exil sans fin, du retour impossible (I’m still on my journey home), sans cesse ravivé par le commentaire, est partout présent sous ces images joyeuses et les marque du sceau d’une mélancolie dénuée pourtant d’amertume.
Il est clairement exposé dans la brève ouverture américaine qui raconte la difficile acclimatation dans ce pays resté étranger et qui est comme une esquisse au sublime Lost, lost, lost (1975). On y voit le Brooklyn de 1950 filmé à la Bolex, et ses displaced persons qui tentent de maintenir un lien communautaire mais sont autant d’étranges animaux mourants.
Après un bref et cruel passage par Hambourg, la dernière partie (la coda) rend visite aux amis autrichiens (Peter Kubelka, Hermann Nitsch...) et veut croire, en filmant manuscrits et incunables de la Bibliothèque de Kremsmünster, en une forme de pérennité de l’esprit humain avant que les flammes de l’incendie du Marché aux Fruits de Vienne devant le ciel nocturne ne remettent encore une fois en question cette fragile confiance, cet apaisement passager.
Dans le cadre du Festival d’Automne, le Centre Pompidou de Paris fait dialoguer l’œuvre de Mekas, qui aura 90 ans le 24 décembre 2012, avec celle de José Luis Guerin (En Construcción). Les deux cinéastes sont présents pour accompagner les rétrospectives croisées et l’installation constituée de neuf lettres vidéo. Un événement à ne pas manquer.
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