Redacted - la critique

Entre fiction et documentaire, De Palma brouille les pistes avec cette œuvre percutante qui interroge le spectateur. Le retour d’un grand.

L’argument : Redacted se concentre sur un petit groupe de soldats américains en garnison à un poste de contrôle en Irak. La succession de points de vue différents permet de confronter l’expérience de ces jeunes hommes sous pression, de journalistes et collaborateurs des médias avec celle de la communauté irakienne locale afin de faire la lumière sur les conséquences désastreuses que le conflit actuel et leur rencontre fortuite ont eues sur chacun d’eux.

Notre avis : Depuis qu’Oliver Stone se complaît dans un éloge débilitant du patriotisme, le camp des contestataires de la politique étrangère américaine avait des allures de no man’s land, condamné à une certaine marginalité. Alors qu’on pensait De Palma définitivement ringardisé, englué dans des projets lourds et confus, le voilà de retour avec un chef-d’œuvre d’invention. A la vision de Redacted, on se rappelle que De Palma, dans les années 60, a fait ses armes avec des courts métrages expérimentaux, parfaits reflets de la scène new-yorkaise de l’époque. Underground et arty, un DVD sorti chez Carlotta chronique cette soif d’images nouvelles et de dispositifs narratifs déments.
Tourné dans une urgence salutaire (il se sera écoulé à peine un an depuis Le dahlia noir), Redacted a des allures de projet improvisé. En préparation du prequel des Incorruptibles, le cinéaste s’offre un break, embarque des caméras HD et part tourner ce pamphlet anti-militariste bien plus terrifiant qu’un Tony Montana sous héro. On sait depuis Outrages ce que De Palma pense de l’armée. La violence du propos ne nous a donc pas surpris. Mais là, à ce niveau de rage contestataire, on frôle le jamais-vu de la part d’une personnalité établie du microcosme hollywoodien. Les faits sont là, édifiants (des soldats américains en garnison à Samarra violent une fillette de 15 ans, puis l’assassinent avec sa famille). Mais le choc, profond, vient avant tout de l’incroyable liberté du cinéaste dans le traitement des images. Visiblement libéré des contraintes des studios, il en profite pour expérimenter les idées les plus folles en filmant des blogs, des vidéos sur YouTube, des sites Internet islamistes. Son cinéma, enfin, prend une nouvelle direction tout en continuant à explorer son sujet de prédilection : le rapport du spectateur aux images...
Alors que le "journalisme citoyen" semble devenir la nouvelle mode en matière de transmission de l’information, De Palma fait justement ça : il muselle la parole gouvernementale pour y substituer la sienne, subjective et fragmentaire, mais sans doute plus proche de la vérité. La guerre en Irak, finalement un sujet en or pour un maître de la manipulation...