Le 23 avril 2019
Le premier album de John Lennon, sous influence de la thérapie primale, prend à contre-pied la pop des Beatles, qui viennent de se séparer.
- Chanteur : John Lennon
- Date de sortie : 11 décembre 1970
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Sortie le 11 décembre 1970
Notre avis : Nous sommes en 1970. Les Beatles se sont séparés depuis quelques mois, et le monde de la pop se retrouve orphelin. Jusqu’à présent, seuls Paul et Ringo ont sorti un album. Le premier a d’ailleurs provoqué la polémique, d’une part en annonçant son départ du célèbre quartette, et d’autre part en décalant la publication de Let it be avec la commercialisation de son opus McCartney. Le second -Ringo- a offert un disque bien anecdotique, Sentimental Journey, préfigurant ce que sera sa carrière solo : un bien difficile chemin de croix artistique, parsemé de rares soleils. Et George ? Et John ? Eh bien, le hasard voudra qu’ils enregistrent leurs chansons à la fin de l’année, aux studios d’Abbey Road. Le cadet des Fab Four ira d’ailleurs saluer son vieux compagnon, lorsque celui-ci aura trente ans, le 9 octobre 1970. On sait ce qu’il adviendra du premier LP solo d’Harrison : succès mondial inattendu, propulsé par le single My sweet lord, plus tard objet d’un procès pour plagiat. Quant à Lennon, son premier effort solo ne suscitera que surprise et circonspection.
C’est pourtant l’un de ses meilleurs albums, et certains s’accordent même à le considérer comme son chef-d’oeuvre. Il faut dire qu’à la première écoute, l’atmosphère surprend : on est loin du psychédélisme de Sergeant Pepper, de Magical Mystery Tour, ou des mélodies joliment innocentes de McCartney. Lennon a choisi l’option rock minimaliste : guitare, basse, batterie. Le piano s’invite sur quelques morceaux, comme Isolation ou God, par exemple. Mais l’intention de John est de proposer un produit brut, sans arrangements sirupeux. Cette crudité a pu décontenancer, choquer les aficionados qui s’attendaient à retrouver les sonorités des Beatles.
La raison de ce choix esthétique réside dans le contenu de l’album : il s’agit bien d’une oeuvre hantée par le souvenir de la mère... Julia Baird, disparue accidentellement, lorsque John avait dix-sept ans. Cette mort, notre rocker ne l’a jamais acceptée. Et certains diront, invoquant la psychanalyse, qu’il a certainement retrouvé en Yoko une sorte de figure protectrice, par substitution. D’ailleurs, dans Julia, sur le Double Blanc, les paroles s’adressaient déjà à la mère absente et à celle qui l’a remplacée de façon symbolique : "Ocean child", une des expressions du morceau désigne "l’enfant de l’océan", signification du nom "Yoko" en japonais.
La figure maternelle donc, et la psychanalyse... car Lennon enregistre Plastic Ono Band après une thérapie entreprise avec le docteur Janov, où il a découvert le "cri primal", ce hurlement qui permet d’expulser ses souffrances, et dont on retrouve les traces à lq fin du premier morceau de l’album : Mother. Chanson lugubre, qui s’ouvre par le glas d’une cloche, et qui n’exprime que le regret de l’absence : "Mama don’t go, daddy come home", crie Lennon, tandis que la batterie de Ringo marque un rythme lancinant, oppressant.
La pop star choisit la confession autobiographique. Quand McCartney parle du quotidien de tout un chacun à la troisième personne, Lennon utilise le "je", un "je" qui se positionne ici contre le reste du monde, ce qui a beaucoup agacé, d’autant que notre chanteur ne brosse pas le beatlemaniaque dans le sens du poil. A cette période où tout le monde pensait que la reformation pouvait avoir lieu -déjà-, le chanteur apporte une conclusion sans détour : "The dream is over" (God). Avant, dans la même chanson, le rockeur aura renié Dylan, Elvis, le I-Ching, Kennedy, etc... tous épinglés sur une liste qui semble infinie, où les grands mythes des années 60 ont droit à un enterrement de première classe. La page est tournée. Dans ce faire-part d’une grande intensité dramatique, John affirme ne croire qu’en Yoko et... en lui. "Mon meilleur ami, c’est ma femme", diront les défenseurs masculins du deuxième sexe, à la même époque.
Mais cette révolte contre la mort, contre les idoles, ne doit pas occulter l’autre versant de l’album : le lyrisme, hissé, un an plus tard, à son plus haut degré dans Imagine, l’album de la réconciliation consensuelle. Ecoutez un morceau comme Love, splendide, et supposez que Lennon ait voulu y apporter quelques arrangements (avec violons et violoncelles) : vous avez potentiellement un tube de la facture d’un Jealous Guy. D’ailleurs, commentant le succès de son opus suivant, Lennon ironisera : "Je n’ai fait que mettre de la chantilly autour". Pour les amateurs de rock, I found out montre que l’artiste est, comme le diront certains, "le seul Beatle qui aurait pu appartenir aux Rolling Stones". Le blues, en effet, n’est pas très loin.
Quant à ceux qui veulent réduire le mythe à quelques ritournelles, Working class hero fera l’affaire : accompagnée par une guitare acoustique, cette chanson dylanienne brosse le portrait d’un héros de la classe ouvrière (John, donc... bien que Paul ait pu, quelque peu sardonique, constater son camarade avait en fait grandi dans une famille de la petite bourgeoisie, élevé par la très straight tante Mimi). "As soon as you’re born, they make you feel small". Bourdieusien, Lennon ? En tout cas, la dénonciation dessine en creux l’itinéraire de notre chanteur, des quartiers populaires de Liverpool jusqu’aux plus grandes scènes du monde.
Quelques mots enfin sur la pochette de ce disque : on y voit John et Yoko, assoupis contre un arbre, et une nature calme, apaisée tout autour. Minimaliste, elle aussi... représentative de cet album unique, indispensable.
Toutes les chansons sont écrites par John Lennon :
1- Mother – 5:34
2- Hold On – 1:52
3- I Found Out – 3:37
4- Working Class Hero – 3:48
5- Isolation – 2:51
6- Remember – 4:33
7- Love – 3:21
8- Well Well Well – 5:59
9- Look at Me – 2:53
10- God – 4:09
11- My Mummy’s Dead – 0:49
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