Biographie
Le 17 janvier 2003
Maurice Pialat est mort le 11 janvier 2003, mais son œuvre ne tombera pas aux oubliettes du cinéma français...
- Réalisateur : Maurice Pialat
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Maurice Pialat est mort. Fin de l’histoire pour cet anticonformiste que l’originalité et la passion ont élevé au rang de légende. Il laisse une œuvre dont la qualité et l’intelligence ont compensé la rareté. Et restera une référence incontestée du cinéma français. L’homme à l’imposant physique et au caractère bien trempé s’est évertué, durant les trente-cinq années qui l’ont vu manier la caméra, à bâtir un univers unique, cru, violemment déchiré par des sentiments purs pour faire parler la société française. Celle qu’il connaît et qu’il veut montrer. Une société où les joies plus qu’humaines affrontent la misère et la cruauté.
De la peinture aux plateaux de tournage
Arrivé tardivement au cinéma (son premier court métrage, L’amour existe, date de 1960), Pialat a débuté son parcours par la peinture, passion qui le suivra jusqu’au bout de son chemin d’artiste, et l’architecture. Né dans les montagnes du Puy-de-Dôme, c’est à Paris que l’homme entre à l’Ecole des arts décoratifs, puis aux Beaux-Arts, lieux qu’il fréquentera pendant plusieurs années.
Ce sont là les prémices d’une carrière de cinéaste que le dessin et la peinture ont grandement influencée, où la place des personnages est telle que la captent les artistes du pinceau : crue, dépouillée de tout artifice, souvent filmée à distance pour cerner l’essentiel.
Dans les années cinquante, l’homme navigue entre plusieurs petits boulots, prend quelques cours de théâtre, et surtout se dirige vers l’image. Il commence à tourner de petits reportages et courts métrages, caméra amateur sur l’épaule, tout en travaillant comme assistant sur les tournages pour le cinéma et la télévision. Un monde qui déjà l’attire irrésistiblement, et dont il deviendra l’un des maîtres.
C’est avec L’amour existe, en 1960, que Pialat signe ses grands débuts dans la réalisation. Un court métrage cinglant qui dépeint rageusement la banlieue parisienne de l’époque. La société de consommation naissante, les humains oubliés de ce système qui leur échappe... Pialat donne le ton et fait déjà sentir son regard militant mais poétique, ainsi que son talent de cadreur et de monteur qui le hissent à hauteur des meilleurs réalisateurs documentaristes. Ce premier film est primé au Festival de Venise et obtient le prix Louis-Delluc. C’est la naissance d’un auteur que l’anticonformisme et l’engagement presque politique rendront incontournable.
Entre 1961 et 1966, il réalise quelques reportages et feuilletons pour la télévision (Janine d’après un scénario de Claude Berri, Maître Galip, Chroniques de France ainsi que Jardins d’Arabie, Istanbul ou Byzance, des reportages en Arabie Saoudite et en Turquie).
Le "génie acariâtre"
Tout au long de sa vie, Pialat a tenté de percer la nature humaine et de l’exposer crûment. Ses personnages sont souffrance et amour, dépravation et nostalgie, indifférence... Tous ceux qui sont passés sous sa direction peuvent en témoigner : le réalisateur possédait un caractère qui, s’il lui a permis de faire éclater des expressions et des postures que nul autre cinéaste n’aurait pu obtenir d’acteurs, n’en était pas moins exécrable. Les dix monteurs usés sur A nos amours, les nombreux cadreurs éclipsés sur le tournage de Loulou, les directeurs photo successifs pour Van Gogh et les dizaines d’acteurs qui se sont plaints de l’attitude de Pialat sont autant de preuves qui confirment la puissance des sautes d’humeur du réalisateur. A tel point que celles-ci sont vite devenues le trait de caractère le plus souvent affiché par les journaux et gazettes. Maurice Pialat est le mauvais garçon du cinéma, un "génie acariâtre", comme le décrit Antoine de Baecque, auteur de Maurice Pialat, l’enfant sauvage.
Car l’homme est rude, et c’est face aux médias et au monde entier qu’il le prouve : lors de la remise de sa Palme d’or pour Sous le soleil de Satan, il lance cette déclaration de haine réciproque, répondant aux sifflets d’une partie du public : "Sachez que si vous ne m’aimez pas, je ne vous aime pas non plus..."
Mais sans doute cette virulence souvent non maîtrisée et cette manière pointilleuse de travailler furent-elles indispensables à l’aboutissement de nombreux projets, à la consécration de films qui reposent essentiellement sur un jeu d’acteurs dirigés avec une précision quasi chirurgicale.
Le sculpteur de personnages
Dans ce pittoresque atelier de modeleur d’acteurs ont défilé nombre des grands talents du cinéma hexagonal, entre 1970 et 1995. Jean Yanne d’abord, qui obtint le prix d’interprétation à Cannes en 1972 grâce à Nous ne vieillirons pas ensemble. Mais aussi Gérard Depardieu à partir de 1980 (Loulou en 1980, Police
en 1985), Sandrine Bonnaire (A nos amours en 1983 ou Sous le soleil de Satan en 1987), Sophie Marceau, Jacques Dutronc dans Van Gogh...
Chaque tournage est un spectacle, une leçon de direction d’homme et de cinéma non romanesque. Pialat tranche, tant avec le vieux cinéma français qu’avec la Nouvelle Vague. Son cinéma n’a pas de dimension balzacienne, pas de liant temporel.
Tel un sculpteur de corps, le cinéaste taille, hurle, coupe, fulmine des heures pour obtenir un geste, une expression. Les acteurs entrent sur le tournage pour redevenir de la chair brute, des personnage qu’il faut façonner pour obtenir la vérité du moment : ici, et maintenant. Le "traitement" de tournage que Pialat fait subir à ceux qui jouent pour lui était un élément fondamental de son cinéma : pour cerner la vérité intime de ses personnages, Pialat est omniprésent, autoritaire. Il met ses comédiens à nu.
La famille au cœur des préoccupations
Les réussites ont jalonné sa carrière et les thèmes qu’il a mis en image ne sont jamais innocents. A l’origine de chaque choix, une idée, une question qui tourmente l’auteur : que peut l’homme lorsqu’il est pris dans des mécanismes ? Son premier long métrage, L’enfance nue (1968), primé aux Festivals de Venise et de New York, est le film qui marque le passage du documentaire à la fiction. Une fresque sur les gamins des rues, teintée de l’éternel pessimisme de Pialat.
L’œuvre du cinéaste aborde aussi le thème de la famille, qui occupe une place centrale dans ses préoccupations. La famille en général, la famille éclatée et la famille absente. Pour Pialat, l’apparente bien-portance de cette entité est souvent trompeuse. C’est l’un des messages de L’enfance nue. Mais c’est avec A nos amours et Nous ne vieillirons pas ensemble que le cinéaste règle définitivement ses comptes avec le mariage et l’univers familial. Toujours à cheval sur cette étroite frontière qui sépare le documentaire de la fiction, Pialat met en scène l’intensité des liens filiaux à travers les traits de Sandrine Bonnaire qui lui donne la réplique dans cette expression de la relation père-fille (A nos amours, 1983, César du meilleur film).
Et le couple n’est pas oublié. Jean Yanne et Marlène Jobert sont les brillants interprètes de la déchirante séparation entre un homme d’une quarantaine d’année et sa jeune maîtresse : c’est Nous ne vieillirons pas ensemble (1972). [1].
Dix films en trente ans
Mais le talent de Maurice Pialat s’est également exprimé à travers les thèmes de la religion (Sous le soleil de Satan, qui contribua à l’image de génie mal-aimé que l’auteur véhiculait), du système judiciaire (Police), de l’adolescence (Passe ton bac d’abord) ou de la peinture, comme un hommage à ses premiers pas, avec Van Gogh, interprété par Jacques Dutronc, qui reçut à cette occasion le César du meilleur acteur en 1992.
Maurice Pialat est sans doute celui qui, de tous les réalisateurs français, a donné le plus de réalité à ses films, plaçant toujours la limite entre la vérité et la fiction sur une marge étroite. La troublante profondeur et la sincérité qu’il parvenait à extraire des acteurs, la brutalité trop réaliste de scènes de bagarres inoubliables (Entre Pialat/le père et Evelyne Ker/la mère dans A nos amours).
Après dix films en trente ans de carrière, une reconnaissance unanime du milieu cinématographique, une Palme d’or, un César, un dernier film en 1995 avec Depardieu (Le garçu), Maurice Pialat a disparu le 10 janvier dernier. Pour définir le style de l’un des cinéastes français les plus caractériels, peut-être faut-il se plonger dans une définition de l’encyclopédie du cinéma. Celle de Roger Boussinot. "Il sait mettre en scène les silences, les hésitations, les regards. Et les mots, au-delà de leur sens, sont aussi des bruits qui couvrent certains vacarmes intérieurs."
Filmographie
1960 : L’amour existe - Primé au Festival de Venise/Prix Louis-Lumière
1961 : Janine d’après un scénario de Claude Berri - Réalisation pour la télévision
1963-64 : Reportages en Arabie-Saoudite (Jardins d’Arabie) et en Turquie (Istanbul, Byzance, Pehlivan)
1964 : Maître Galip - court métrage pour la télévision
1965-66 : Chroniques de France
1967 : L’enfance nue - Prix Jean-Vigo/Primé aux festivals de Venise et New York
1970-71 : La maison des bois - Feuilleton pour la télévision
1972 : Nous ne vieillirons pas ensemble - Prix d’interprétation pour Jean Yanne au Festival de Cannes
1974 : La gueule ouverte
1978-79 : Passe ton bac d’abord
1979 : Loulou -Sélectionné au Festival de Cannes
1983 : A nos amours - Prix Louis-Delluc/César du meilleur film
1985 : Police - Sélectionné au Festival de Venise
1987 : Sous le soleil de Satan - Palme d’or au Festival de Cannes
1991 : Van Gogh - César du meilleur premier rôle masculin pour Jacques Dutronc
Pour aller plus loin sur l’œuvre de Maurice Pialat, un site entièrement dédié à ce grand réalisateur.
[1] Pialat a également traité cette même histoire dans un roman d’une très grande force. Introuvable, il a été réédité en 2006 par les éditions de l’Olivier. Lire notre critique
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