Le 2 mai 2019
Premier album très solide de la part de Néfaste, plus que jamais à l’aise avec son univers musical mélancolique.
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- Copyright : Paul Clichy Photography
Notre avis : Le mois d’avril aura décidément été le mois des retours. PNL a séché tout le rap game avec Deux Frères, Sheldon nous a rappelés que son Lune Noire n’était toujours pas sorti après plus de deux ans de teasing - mais au vu de son 2/4 Quart de Lune, c’est tout pardonné - Sefyu a sorti son album fin 2000’s en 2019 - démarche un peu anachronique mais intéressante - et enfin Néfaste a proposé son premier album. Alors, dit comme ça, le dernier nommé de la liste passe un peu pour un intrus. Son projet n’est ni aussi attendu qu’un PNL, ou même qu’un Sheldon, et le rappeur de Cergy ne redonne pas signe de vie, après des années d’inactivité comme c’est le cas pour Sefyu. Et pourtant, pour nous, son premier album était celui qui suscitait le plus d’espoir en ce mois d’avril. Déjà parce qu’on ne pensait pas attendre aussi longtemps ce projet, quand son auteur nous annonçait déjà son arrivée juste après Dans mon Monde. Et bien évidemment ce Partir Loin était attendu, parce qu’on aime ce que fait le rappeur depuis Armes Blanches, Idées Noires. L’un des derniers représentants d’un certain esprit boom bap excellait dans le style qu’il s’était construit, avant même de présenter son premier véritable album. Conscient du risque d’enfermement qu’il encourait à toujours voguer sur les mêmes mers, le natif de Cergy passe avec ce Partir Loin un nouveau cap, marqué par de nombreuses prises de risque stylistiques. Mais pour autant est-ce pour cela que Néfaste change entièrement son identité artistique ? (Spoiler : non).
- Copyright : Estelle Mithra
L’accueil positif de Partir Loin par son public est révélateur de la justesse avec laquelle Néfaste a abordé ce glissement vers un style plus en phase avec son époque. Même si musicalement la différence avec ses précédents projets déstabilise, le parolier fait toujours en sorte que l’auditeur puisse se raccrocher à son esprit intact. Avec cet album le rappeur explore toujours sa propre morosité, mais en l’appliquant sur diverses formes rapologiques, passant de productions d’Itam à Eazy Dew sur l’étonnant Bah Oé mon Pote (coup de pression à la découverte du nom du morceau, on ne va pas se le cacher). Que ce soit lorsqu’il kicke, ce qui est le cas sur la majorité de l’album, ou lorsqu’il chante, Néfaste véhicule finalement toujours son mal être et sa mélancolie, ce qui donne à Partir Loin sa grande cohérence pour un album très bien suturé. Avec une tracklist intelligemment organisée, l’ensemble suit une trajectoire aussi fluide et rectiligne que celle d’un avion en papier bien aérodynamique et plus important que tout, les punchlines tristes de Néfaste produisent toujours leur effet sur nous. En terme d’impact, aucune phase n’atteint certaines de Rien ne Change, de A Cœur Ouvert ou de Face à Moi-même #7, mais musicalement le rappeur arrive à toucher davantage grâce à sa diversification, notamment sur le refrain de doux rêveur défaitiste de Partir Loin.
- Copyright : Estelle Mithra
La maturité de l’album se caractérise également par la richesse thématique des morceaux et la structure bien définie de certains d’entre eux. Alors que le storytelling se raréfie au point d’être associé à une période révolue du rap, Néfaste, preuve finalement que sa démarche se situe à cheval entre plusieurs tendances, en cale trois, voire quatre si l’on inclut Elle dans cette catégorie, alors qu’il ne s’était jamais démarqué par ce type de textes. Au delà de cela, Partir Loin se distingue vraiment des autres projets du rappeur par sa consistance. Si les punchlines semblent moins présentes et marquantes, en voilà probablement la raison : en construisant son projet avec rigueur, Néfaste laisse moins de place à l’éparpillement et à la redondance, et donc à la possibilité de passer d’un sujet à un autre pour la rime et le jeu de mots. Le rappeur fait preuve d’ouverture, à tous les niveaux, marquant un travail bien mûri et réfléchi. On devine à travers certaines rimes (la magie et le PSG, c’est un peu antinomique en ce moment) des textes longtemps restés dans les tiroirs, afin d’être sortis au moment jugé propice par l’auteur. Un autre symbole de cette ouverture : la place laissée à la femme dans Partir Loin surprend, venant d’un rappeur qui jusque là ne l’évoquait que par le prisme de personnes de la gente féminine, pas très catholiques ni très respectueuses. Partir Loin n’échappe pas à la rancœur du rappeur à ce sujet, observable sur Bah Oé mon Pote notamment, mais cette humeur est largement contrebalancée par Petite Sœur, La Musicienne et Elle. Certains pourraient arguer que deux de ces morceaux font référence à sa sœur et à sa mère - la famille, c’est une exception, ça ne compte pas - ce à quoi on répondrait : pas faux. Néanmoins, il ne faut pas pour autant amoindrir l’importance de ces titres dans l’évolution de la musique du rappeur. Même s’il traite de sujets personnels, Néfaste adopte un point de vue moins interne, ce qui s’observe tout particulièrement sur le très beau La Musicienne.
- Copyright : Estelle Mithra
Nourri par son propre vécu, ses expériences personnelles, Néfaste tisse un lien de proximité fort avec son public en se confiant honnêtement, que ce soit de manière directe, comme il a toujours eu l’habitude de le faire, ou via des exercices de style fictionnalisants. Cour de Récré s’inscrit dans cette démarche. Pour figurer son désir de partir, le rappeur évoque à de nombreuses reprises l’enfance avec nostalgie, en souvenir de l’innocence qui s’envole dans ces années-là. Grandir, l’un des meilleurs morceaux de l’album, combine autant le besoin de retrouver cette innocence que de se barrer avec, sans trop savoir comment faire. Néfaste dépeint l’impasse dans laquelle il évolue, mais sans jamais se stigmatiser à outrance. Il se tient autant responsable de sa situation qu’il peut décrier une société pas exempte de reproches. Partir loin semble au final manifester un désir bien inaaccessible pour celui qui conclut son album avec un morceau sur son quartier, ses habitants, cette vie absurde qu’il ne quitte pas. Etant donné son attachement à la rue, nerf de la guerre de son écriture, pas sûr qu’assouvir son désir de départ puisse lui apporter autre chose que le manque et le vide. Une impasse, on vous dit.
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