Jeu du hasard et de la complexité
Le 17 novembre 2015
Évènement incontournable de cette fin d’année en matière de patrimoine cinéma : Out1, le film gargantuesque de Jacques Rivette, sort pour la première fois en coffret Blu-ray et DVD, le tout en version intégrale restaurée. Indispensable.
- Réalisateur : Jacques Rivette
- Acteurs : Jean-Pierre Léaud, Bernadette Lafont, Jean-François Stévenin, Bulle Ogier, Michael Lonsdale
- Genre : Drame, Expérimental
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 12h53mn
- Titre original : OUT 1
- Date de sortie : 9 octobre 1971
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Sortie du blu-ray : 18 novembre 2015
Année de production : 1970
Évènement incontournable de cette fin d’année en matière de patrimoine cinéma : Out1, le film gargantuesque de Jacques Rivette, sort pour la première fois en coffret Blu-ray et DVD, le tout en version intégrale restaurée. Indispensable.
L’argument : Paris, 13 avril 1970. Deux troupes de théâtre d’avant-garde répètent chacune une pièce d’Eschyle. Un jeune sourd-muet fait la manche dans les cafés en jouant de l’harmonica. Une jeune femme séduit des hommes pour leur soutirer de l’argent. Alors qu’une conspiration se dessine, des liens se tissent entre les différents protagonistes…
Le film :
Un demi-siècle ou presque d’attente fébrile aura été nécessaire. Considéré comme un Graal par le tout venant des cinéphiles, Out1 (prononcer "Out Un" et non pas "Out One") sort pour la première fois dans sa version intégrale, restaurée par Technicolor avec le soutien du CNC. Carlotta Films, la société de distribution et d’édition spécialisée dans la conservation du patrimoine, propose à cette occasion un coffret intégrant 6 Blu-Ray et 7 DVD d’Out1. À noter que cette restauration 2K a été supervisée par Pierre-William Glenn, le chef-opérateur du film. L’ensemble est accompagné d’un livre de 120 pages de Robert Fischer, réalisateur et historien du cinéma, retraçant l’origine de cette œuvre colossale et incontournable.
Critique ICI
Aussi rare et démesuré que vénéré, Out1 est initialement sorti au Havre en 1971 dans sa version de 775 minutes. Puis alors que personne ne souhaite diffuser le film, celui-ci ressort dans une version tronquée l’année suivante de 4h24 rebaptisée Out1 : Spectre (cette dernière figure également dans le coffret Out1). Par la suite, ce monument indéboulonnable et essentiel de l’histoire du cinéma moderne – selon les mots d’Éric Rohmer - sera exploité au cours de la décennie 1990 pour la télévision. Scindé en huit épisodes, son nom devient dès lors Out1 : Noli me tangere ("Ne me touche pas") – qui renvoie à la locution latine murmurée par le Christ en marge de la Résurrection. Reste qu’en dépit de sa rareté, cette œuvre n’aura cessé de circuler dans l’anonymat et en version pirate, créant petit à petit une véritable mythologie. Parmi les acteurs, penseurs, producteurs et autres cinéastes de la Nouvelle Vague présents ici ou là dans cet hymne à la liberté, irréductible : Jean-Pierre Léaud et son empressement emphatique, Michael Lonsdale, Bernadette Lafont, Bulle Ogier, Barbet Schroeder, Juliette Berto, Françoise Fabian, Jean-François Stévenin, Michèle Moretti, Bernard Eisenschitz, Pierre Cottrell ou encore Eric Rohmer. Une liste non exhaustive qui en dit long sur la charge théorique à l’œuvre.
Outre le fait qu’Out1 soit dans le fond l’adaptation du roman Histoire des Treize, d’Honoré de Balzac, il serait vain d’essayer de le cloisonner, de tenter d’en délimiter les contours. Révolutionnaire et indiscipliné par essence, mais néanmoins teintée de désillusion (celle - déjà - de la nostalgie de la Nouvelle Vague), cette fresque post soixante-huitarde repousse les limites de l’expérimentation sans déjouer les risques de la fragilité, de l’ennui et du ridicule. Élargissant les fantastiques expériences de L’Amour fou (1967), Jacques Rivette s’affranchit - malgré son désir de renouer avec les serials de Louis Feuillade - des codes de la narration ou de la production. Non seulement l’improvisation est de rigueur pour les acteurs, mais aussi pour les techniciens. Hormis quelques idées suggérées aux acteurs, libre à eux ensuite d’en faire ce qu’ils veulent et de laisser advenir le hasard et l’inopiné. Seule structure – toute relative – plus ou moins pensée par Jacques Rivette et la scénariste Suzanne Schiffman : le chemin de traverse occulte rendant possible la rencontre des différents personnages. Comme si Jacques Rivette échangeait ses accessoires de marionnettiste contre un statut d’hermétiste, et ce, sans jamais tomber dans l’incohérence.
De cette perte volontaire de repères - infiniment organique - naît une expérience hors du commun. Une fois passés les premiers épisodes à haute teneur initiatique - qu’il faudrait rapprocher du trou du lapin d’Alice au Pays des Merveilles et autres expérimentations de Peter Brook et du Living Theatre (que reprendra plus tard Lars Von Trier avec Les Idiots) -, le spectateur retrouve petit à petit le chemin de la fiction via les chassés-croisés toujours inattendus des acteurs - en cela, la dimension foudroyante des rebondissements rappelle un autre "idiot" : celui de Dostoïevski. Dès lors, s’agrègent des histoires d’amour, des poursuites, des vols, des disparitions sibyllines, des esclandres voire même un meurtre. C’est l’histoire de l’association des Treize. Autant de trajectoires conspirationnistes et de revirements incessants où l’on saisit peu à peu le "Out" du titre, cet espace où le masque du moi "In" se dissipe pour laisser place au soi "Out" de l’enfance et aux pulsions primitives et originelles. Un canevas éclaté et séditieux suscitant tour à tour le rire, la terreur et les larmes. Un voyage hypnotique éprouvant laissant parfois le spectateur dans un véritable état de transe. Où l’on apprend quelque part à se délester de la dictature du langage.
Cette ressortie d’Out1 met aussi en lumière la figure de modèle de ce film, qui influença tout le cinéma français des années 70, annonçant entre autres Jean Eustache (La Maman et la Putain et Une sale histoire, surtout). Quant à recenser les généalogies possibles à partir d’OUT1 – qui de Jean Renoir au Miguel Gomes des Mille et Une Nuits en passant par Jean Rouch et Robert Kramer sont innombrables - la tâche est abyssale. Tout un versant de l’œuvre amène par ailleurs à s’interroger sur les liens qui unissent théâtre et cinéma, à comprendre comme l’un polarise l’autre. Mais également à saisir comment l’acteur est finalement plus un acteur qu’un personnage.
Out1 comporte aussi probablement quelques-unes des séquences les plus marquantes de l’histoire du cinéma, à commencer par le "Laissez-moi" pré-final proféré par Michael Lonsdale, riant puis pleurant sur une plage crépusculaire tel Anthony Quinn dans La Strada. La faute à une promesse de révolution (1968) qui n’est alors plus que l’ombre d’elle-même, la mélancolie gagne les acteurs - n’est-ce pas là tout l’enjeu d’Out1 au travers des improvisations jusqu’à l’épuisement. Non pas pour Jacques Rivette le constat d’une défaite (politique) mais la mise en scène d’un monde irrésolu où il est désormais difficile (voire impossible) d’établir durablement quelque chose. "Sainte fut notre ambition", dit un des messages mystérieux reçu par Jean-Pierre Léaud. Chronique langoureuse d’un désenchantement - le fantasme de l’improvisation illimitée -, mais aussi testament de toute une époque.
L’image :
Le grain du 16mm et les teintes automnales sont superbement rendus par la restauration 2K de Technicolor. L’étalonnage, dirigé par Pierre-William Glenn, s’avère splendide. Le Paris de 1970 semble renaître sous nos yeux, s’apparentant pour l’occasion à un jeu de piste sans frontière où folâtrent les personnages les plus fantasques. Le résultat est tel que l’on s’abandonne - comme sous hypnose - autant au film qu’on le voit.
Le son :
Si l’ensemble manque de précision (Dolby Digital 1.0), cette caractéristique n’en reste pas moins une qualité. Ne serait-ce parce que l’ambigüité qui en découle participe au caractère mystique du film, rendant ainsi plus limpide l’occultisme et "fantastique social" cher à Honoré de Balzac.
Les suppléments :
En dehors du livre de 120 pages de Robert Fischer, ceux-ci intègrent un documentaire inédit et particulièrement riche : Les Mystères de Paris : Out 1 de Jacques Rivette revisité (2015 – Couleurs – 110mn), également signé par Robert Fischer, et Wilfried Reichart. En prime les témoignages passionnants de Jacques Rivette, Bulle Ogier, Michael Lonsdale et du producteur Stéphane Tchal Gadjieff.
Au cours d’une interview filmée par Wilfried Reichart, Jacques Rivette souligne notamment que Noli me tangere a été pensé pour donner au spectateur une impression "d’équilibre instable perpétuel." "Au lieu d’être bien assis dans un fauteuil, (ce dernier) est plutôt au sommet d’une pile de chaises en équilibre les unes sur les autres, à se demander si elles ne vont pas finir par s’écrouler".
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