Le 22 septembre 2020
La Belle Noiseuse, réalisé par Jacques Rivette et récompensée du Grand Prix, lors de la cérémonie de Cannes en 1991, est sans nul doute un film culte. Adapté librement du roman Le Chef-d’œuvre inconnu d’Honoré de Balzac, il aborde la quête de la transcendance à travers l’art, et le défi qui s’impose à l’artiste pour exprimer ce qui est au plus profond de son être.
- Réalisateur : Jacques Rivette
- Acteurs : Emmanuelle Béart, Michel Piccoli, Marianne Denicourt, Jane Birkin, Bernard Dufour, Gilles Arbona
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Suisse
- Distributeur : Pierre Grise Distribution
- Durée : 4h00mn
- Date télé : 24 mai 2024 21:08
- Chaîne : France 5
- Date de sortie : 4 septembre 1991
- Festival : Festival de Cannes 1991
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Résumé : Nicolas (David Bursztein) est un jeune peintre qui visite le Midi avec sa compagne, Marianne (Emmanuelle Béart). Grâce à leur ami Porbus qui est marchand d’art, ils sont invités à la demeure du célèbre artiste, Édouard Frenhofer (Michel Piccoli) que Nicolas admire profondément. Lors de leur rencontre, Frenhofer est captivé par Marianne et demande à Nicolas s’il peut réaliser un tableau avec Marianne comme modèle. Il ne s’agit pas de n’importe quelle peinture mais de « La Belle Noiseuse » une toile qu’il avait laissé inachevée et pour laquelle il avait pris sa femme, Liz (Jane Birkin) comme modèle. Avec Marianne comme modèle, il osera reprendre ce projet de création, qui s’était avéré auparavant plutôt destructeur. Marianne devra faire face aux chemins épineux de la création.
Critique : La Belle Noiseuse est enivrant à bien des égards et tout d’abord par son cadre estival, avec le bruit des cigales omniprésentes, qui résonnent comme des cloches dominicales, la rugosité des maisons de campagne en pierre noyées dans la lumière du soleil ou encore les repas dans le jardin. Ce cadre sensoriel et sensuel est investi par la dynamique du couple de Nicolas et Marianne : ceux-ci jouent d’abord l’un avec l’autre, dans une romance coquine.
Au début du film, la mise en scène et le mouvement des acteurs sont comme une danse. Les comédiens s’éloignent ou s’approchent dans la profondeur de champ, rappelant ainsi la mise en scène du cinéma classique des années cinquante. Cependant, lorsqu’on arrive au studio de peinture de Frenhofer et que les scènes ne se passent désormais qu’entre le peintre et Marianne, on rentre dans l’univers intérieur des deux personnages, une sorte de monde à part. Le temps passe différemment. Il n’y a pas de fenêtres dans le studio qui puissent nous montrer l’extérieur ou la lumière de la journée qui change. Désormais, le montage est émaillé de coupures et d’allers-retours dynamiques, de plans rapprochés entre les dessins, les mains de l’artiste, le corps de la muse et les regards. Ainsi, le ton estival et romantique qui était auparavant encadré, devient intime, suspendu dans le temps. La concentration et même la colère investissent le registre.
Le malaise, la jalousie et la méfiance qui s’établissent entre tous les personnages surgissent lorsque Nicolas accepte la demande de Frenhofer, pour que Marianne pose pour lui. Celle-ci enrage : elle se sent traitée comme un produit dans une transaction, car Nicolas lui enlève ainsi son droit de prendre cette décision par elle-même. Le film montrera qu’une muse n’est pas seulement un sujet qui pose, à qui on demande d’exhiber une apparence. L’enjeu est plus spirituel, plus profond, plus vrai. L’ambition de Frenhofer s’incarne dans un tableau qui capture à la fois le vrai et l’indicible, et pour cela, on ne copie pas purement les contours du visage et du corps, mais les deux âmes : celles du peintre et de la muse. Dès lors, la quête de Frenhofer n’est pas seulement la sienne, elle devient également celle de la jeune femme : « il faut qu’on soit forts vous et moi, jusqu’au bout », dit l’artiste au modèle.
Il y a une douleur dans le processus de création et elle est tangible pendant tout le film. Les scènes basculent entre l’inconfort physique et le malaise psychologique. Il y a la douleur des poses et l’agressivité ponctuelle de Frenhofer qui les inflige, la douleur de Marianne qui s’est, à tous point de vue, dénudée, dans une sorte d’acte vampirique. Finalement, la douleur de Frenhofer révèle la recherche de quelque chose qu’il ne connaît pas encore. Il doit se jeter dans le néant et parcourir un chemin où la réussite est incertaine. Cette recherche est incarnée avec un génie absolu par les deux comédiens, Michel Piccoli et Emmanuelle Béart, dont le jeu d’acteurs contribue à la grande qualité de ce film "culte".
L’autre défi de l’œuvre de Frenhofer est son sujet : le portrait d’une « noiseuse », « celle qui recherche la querelle ». Marianne est une femme indépendante, de fort caractère. Elle se trouve effectivement au cœur des querelles entre les personnages. Lors des sessions de peinture, on a l’impression que c’est comme si elle était un félin prédateur, sublime et enragé, et que le but de Frenhofer était de trouver la manière de fixer l’essence de son expression dans une posture fixe, sans l’emprisonner dans une cage, mais plutôt en la libérant d’elle-même. La complicité qui s’établit entre Marianne et l’artiste, mais aussi avec Liz, s’exprime d’une manière mystérieuse, avec la résolution du tableau final. Le dénouement, dans sa tournure astucieuse et fine, scelle le pacte ultime entre les deux muses et l’artiste, mais il a également valeur de rédemption pour ce dernier.
Les scènes rapprochées où l’on voit les mains de Frenhofer qui dessine, sont en fait les doigts virtuoses de l’artiste Bernard Dufour. C’est grâce à ses prouesses qu’on a la sensation, presque à la manière d’un documentaire en temps réel, de voir l’évolution du processus de création. Il y a une attente et un émerveillement quand on découvre comment Marianne, et ce qu’on commence à connaître plus profondément d’elle, vient s’imprégner dans chaque trait.
La Belle Noiseuse est une expérience cinématographique sans précédent, délicieuse, saisissante et prodigieuse, grâce à laquelle Rivette nous plonge dans l’univers intime d’un artiste, pour nous montrer ce qui est en jeu lors du processus de création : trouver la vérité de l’être.
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