Le 13 avril 2018
Jacques Rivette signe un film déroutant et fascinant, dans lequel on se perd avec délice.
- Réalisateur : Jacques Rivette
- Acteurs : Jean-François Stévenin, Maurice Garrel, Joe Dalessandro, Maria Schneider, Juliet Berto
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Distributeur : Gaumont Distribution, Carlotta Films
- Durée : 2h40mn
- Reprise: 14 mars 2018
- Date de sortie : 6 avril 1983
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Elizabeth envoie un billet d’avion à sa sœur Léo et à un ami américain, Ben et donne rendez-vous à tous deux à Roissy. Mais à leur arrivée, Ben et Léo, qui ne se connaissaient pas jusqu’alors, ne retrouvent pas Elizabeth. Ils se demandent pourquoi elle leur a demandé de venir, et comprennent bientôt qu’elle est partie à la recherche de son père...
Notre avis : Ce pourrait être un roman feuilleton, il y en a la matière : un mort qui ne l’est pas, des secrets, des énigmes, une vengeance, un enlèvement, des machinations et de l’argent en jeu. Mais organisé par Rivette, cette sombre histoire devient un labyrinthe dans lequel les personnages, les acteurs et le spectateur se perdent, privés des repères rassurants de la psychologie et du sens. Les errances dans la forêt (hommage discret au Fritz Lang du Secret derrière la porte ?) ou dans les dunes qui entrecoupent le récit achèvent d’égarer puisque leur statut reste indécis : fantasme, prolepse, projection, symbole ? Sans doute tout cela à la fois, dans cette œuvre dont la cohérence repose sur des décalages permanents et une volonté affirmée de rejeter la narration classique.
Dès le départ, avec ces deux musiciens entamant une improvisation qui se prolonge au long du film, le refus opère : pas de musique de fosse, pas d’artifice. Rivette enregistre des blocs de réalité, mais une réalité opaque à laquelle se cognent des héros qui ne sont pas forcément ce qu’ils paraissent. À ce titre le choix d’acteurs emblématiques (Joe Dalessandro chez Warhol et Morissey, Maria Schneider chez Bertolucci) joue comme une fausse piste, une de plus dans un ensemble qui ne progresse que de manière erratique, et souvent pour s’enfoncer davantage. Et le réel qui semblait présider au départ, avec un sens du détail concret affirmé, se délite peu à peu sur la route, dans les parcs ou les maisons abandonnées. Le monde s’offre alors comme un jeu de piste, peuplé de chiffres et d’objets dénués de sens, conduisant d’un lieu à l’autre et éloignant d’un quotidien sans intérêt : en s’ouvrant malgré eux à l’aventure, les personnages se coupent d’un avant dont on ne saura rien pour entrer ailleurs, dans l’univers désarçonnant de Rivette ; en ce sens le film est aussi le récit d’un tournage chaotique, que Maria Schneider a déserté, une avancée en zigzags vers l’improbable.
Et pourtant dans ce chaos on ne cesse de se raccrocher à l’intrigue, bien qu’elle s’effiloche et se disperse. Mais trouver un ordre, un sens, revenant à reconstituer un puzzle dont il manque plusieurs pièces, mieux vaut se laisser égarer, suivre le parcours d’un cinéaste qui aime les moments creux, les discussions semi-improvisées, autant que les incongruités et les détours. À ce prix, on pénétrera dans un monde à part, enfantin et envoûtant, complexe et lumineux, dans lequel une séquence esthétique classique (le dîner aux chandelles) voisine avec un prosaïsme abrupt, sans que jamais la menace sourde introduite très tôt ne disparaisse vraiment. L’inquiétude abstraite ou représentée par des animaux (les chiens, le serpent) ne cesse en effet de se rappeler au spectateur, comme une possibilité narrative ou le symbole d’une fragilité existentielle et se conclut par l’orage à venir.
Si on aime Rivette première manière, on sera très à l’aise dans ce récit désarticulé peuplé de secrets et d’indices ; on suivra sans peine ce coq-à-l’âne moderne en forme de collage et y voir des échos de films passés ou même de Balzac, voire Eugène Sue, avec ses codes et ses clichés. Mais il est également tentant d’y déceler l’allégorie de la situation humaine, confronté à l’absurde et au démantèlement du sens, comme à la difficulté de comprendre l’autre, menace aussi bien qu’auxiliaire. Qu’importe au fond, Merry-go-round est surtout une expérience cinématographique étrange, captivante, qui ne peut se résumer à son intrigue ni à une interprétation univoque. Ce n’est pas très confortable, mais infiniment stimulant.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.