Le 1er mai 2021
Œuvre désarçonnante, Duelle s’inscrit en majeur dans une période féconde du cinéaste et séduit par sa manière autant que par son sujet étrange.
- Réalisateur : Jacques Rivette
- Acteurs : Nicole Garcia, Bulle Ogier, Claire Nadeau, Juliet Berto, Hermine Karagheuz
- Genre : Drame, Fantastique
- Nationalité : Français
- Distributeur : Gaumont Distribution, Carlotta Films
- Durée : 2h00mn
- Reprise: 14 mars 2018
- Box-office : 14.648 entrées Paris Périphérie
- Date de sortie : 13 octobre 1976
Résumé : Viva et Leni, filles du Soleil et de la Lune, convoitent toutes deux une pierre magique qui leur permettrait de rester sur Terre, perdant par là leur immortalité. Pour cela, elles vont s’affronter dans Paris, entraînant plusieurs humains dans leur lutte : Lucie, réceptionniste dans un hôtel, son frère Pierre, acrobate, et Elsa/Jeanne, ticket-girl dans un dancing…
Critique : Le jeu de pistes de ce film singulier commence dès le titre : Duelle, mais aussi Une quarantaine, le tout inscrit dans un cycle, celui des Scènes de la vie parallèle, aux échos balzaciens ; or dans cette tétralogie qui ne sera jamais complète, Duelle porte le numéro deux (en référence à son nom, et à ses thèmes), alors que le premier n’avait pas été tourné : il ne le sera qu’en 2003 (L’histoire de Marie et Julien). De quoi dérouter le spectateur, qui n’est pourtant pas au bout de ses surprises. Certes, les amateurs de Rivette première manière retrouveront le motif du complot secret comme le refus de la narration traditionnelle : pas ici de scénario carré, mais au contraire une matière lâche et filandreuse qui se perd (et nous avec) dans un labyrinthe très théâtral. Et pourtant le cinéaste prend très au sérieux cette intrigue surnaturelle dans laquelle deux immortelles s’affrontent au milieu des humains ; mais au lieu de laisser monter l’angoisse et de mettre en valeur les antagonismes, il les distend en de longues séquences souvent énigmatiques. On ne frémira pas, on ne sursautera pas, et en aucun cas on ne pourra s’identifier à des personnages tellement distanciés : Juliet Berto et Bulle Ogier incarnent en effet les sorcières avec un jeu affecté, peu expressif, qui maintient le spectateur hors de l’histoire, et leurs partenaires sont à l’unisson, impeccables à leur manière. La surprise est d’ailleurs grande de découvrir Claire Nadeau à l’aise dans ce monde étrange.
Au tout début Lucie, réceptionniste dans un hôtel, tente de garder l’équilibre sur un ballon. Mais le premier plan la cadre de façon à laisser ignorer ce qu’elle fait. Le film est un peu à cette image, constamment sur le fil, avec l’impression que quelque chose nous échappe en permanence. Vient alors une étrange cliente, qui l’embauche en qualité de (piètre) détective, à la recherche de Max, fantomatique (faux) objet d’une quête absconse. On comprend peu à peu que la cliente traque une pierre magique, que détient Pierre (le jeu de mot est un peu facile…), frère de Lucie, qui a connu Max… Et voici le dédale : quelques lieux (l’hôtel, un aquarium, une salle de jeu, un intérieur), une poignée de personnages qui se rencontrent le plus souvent deux à deux, alors que le monde extérieur et ses habitants ne sont plus présents que par intermittence puisque le parc, un pont semblent déserts et, si une rue est traversée par des voitures, Rivette en supprime les bruits. C’est donc bien la recréation d’un monde magique et personnel, indépendant du réel et pourtant très concret, un monde dans lequel un pianiste semble transporter son piano où il le veut, un monde dans lequel on peut briser des miroirs ou agiter une baguette magique.
Pour un esprit cartésien ou un habitué des superproductions, le choc est rude. Il faut abandonner toute velléité de logique et s’installer dans un temps long, au gré de pérégrinations et de coïncidences étonnantes. Car il y a chez Rivette autant de rouerie que de naïveté, autant de rigueur que de souplesse : s’il soigne des plans longs (et certains sont magnifiques), il peut aussi fragmenter quelques passages en un montage alterné des plus classiques. De même emprunte-t-il au cinéma moderne des codes, dont la déstructuration, mais l’affrontement entre Pierre et Viva se réfère au duel du western ou à la chute de Dracula. On a de fait l’impression d’un art libéré, qui inclut la durée et le temps mort dans sa narration. Cela peut ne pas aller sans ennui, mais le film a quelque chose de fascinant dans le décalage permanent entre le sujet et son traitement.
Le spectateur bienveillant s’amusera aussi des échos et parallèles nombreux (le champagne, l’argent, les miroirs, les assombrissements soudains, les phrases reprises par différents personnages...), comme des dialogues rusant avec les clichés. Peut-être même que les férus d’ésotérisme trouveront un sens clair à cette divagation et les symboles plus ou moins obscurs qui parsèment le film pourraient leur donner raison. Pour les autres, dont nous sommes, c’est dans la surprise permanente, le goût de l’inattendu et le refus d’un réalisme terne par l’invention d’un monde à sa mesure que Rivette triomphe. Si on entre dans cet univers, mais cela demande un effort, on s’y perd avec délice.
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Amandine Renard 23 octobre 2019
Duelle - la critique du film
Tout à fait d’accord avec la critique . On sort de ce film - comme de L’Amour par terre- comme d’un bain de jouvence. Si Rivette connaît très bien les cinéastes qui l’ont précédé, il a certainement aussi influencé ceux qui l’ont suivi. La scène où s’affrontent le magicien homme et la fée blonde (sorte de ballet magique dans une lumière lunaire) a pu inspirer , entre autres, Docteur Strange (2017).