Le 31 août 2019
Le dernier Moix érige un tombeau poétique à une jeunesse maltraitée, dans un geste qui consacre la toute puissance de la littérature. Quitte à en faire beaucoup.
- Date télé : 31 août 2019 23:20
- Chaîne : France 2 - On n’est pas couché
- Auteur : Yann Moix
- Editeur : Grasset
- Genre : Roman
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 21 août 2019
- Plus d'informations : Le site officiel
- Festival : Rentrée littéraire 2019
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Résumé : Qui a lu l’œuvre publiée de Yann Moix sait déjà qu’il est prisonnier d’un passé qu’il vénère alors qu’il y fut lacéré, humilité, fracassé. Mais ce cauchemar intime de l’enfance ne faisait l’objet que d’allusions fugaces ou était traité sur un mode burlesque alors qu’il constitue ici le cœur du roman et qu’il est restitué dans toute sa nudité. Pour la première fois, l’auteur raconte l’obscurité ininterrompue de l’enfance, en deux grandes parties (dedans/dehors) où les mêmes années sont revisitées en autant de brefs chapitres (scandés par les changements de classe, de la maternelle à la classe de mathématiques spéciales). Dedans : entre les murs de la maison familiale. Dehors : l’école, les amis, les amours. Roman de l’enfance qui raconte le cosmos inhabitable où l’auteur a habité, où il habite encore, et qui l’habitera jusqu’à sa mort, car d’Orléans, capitale de ses plaies, il ne pourra jamais s’échapper. Un texte habité, d’une poésie et d’une beauté rares, où chaque paysage, chaque odeur, chaque mot, semble avoir été fixé par des capteurs de sensibilité saturés de malheur, dans ce présentéisme des enfants martyrs. Aucun pathos ici, aucune plainte, mais une profonde et puissante mélancolie qui est le chant des grands traumatisés.
Copyright Grasset, 2019
Notre avis : Par un effet d’attraction, que décupleront encore des articles sidérés, des polémiques familiales et des anathèmes lancés contre son méchant écrivain, Orléans se trouvera réduit à quelques scènes spectaculaires, pour lesquelles le dégoût et la compassion des lecteurs se joindront dans un compagnonnage prévisible, soit pour plaindre l’auteur - confondu avec le narrateur -, soit pour enterrer le mythomane. Les réseaux sociaux ont commencé à planter les clous du cercueil. Le texte de Moix est mort avant que d’être né, enseveli sous des tonnes d’incriminations, d’attaques ad hominem - qui n’ont rien à voir avec la littérature -, et de confessions auctoriales en forme d’auto-flagellation, pour médias aimantés.
Comment pouvait-il en être autrement ? Le récit délivre des souvenirs à haute intensité émotionnelle. De l’abandon vespéral en forêt à l’insupportable humiliation du trajet vers l’école, en pyjama, jusqu’à l’arrivée dans la classe, en passant par les raclées quotidiennes, les brimades, les insultes, le chemin de croix est lesté d’une charge dramatique qui pourrait anesthésier la critique, dès lors que la pitié se substitue complètement à une réception plus distante, attachée à la qualité littéraire d’un récit.
Si certains malheurs embarrassent spontanément toute objection, il faut quand même saisir ce témoignage du protagoniste pour ce qu’il est : un texte, évaluable à l’aune de ses propositions formelles, très nettes, qui disent leur confiance dans l’écriture, sa manière de prendre en charge l’innommable et de le reconfigurer, au-delà du chaos ambiant, selon une trajectoire qui mène à la littérature. Cette intention se repère à des choix qui revendiquent une filiation avec l’écriture classique, brandissant l’étendard du subjonctif imparfait et de son doublon -encore- plus distinctif, le subjonctif plus-que-parfait, dont l’auteur abuse jusqu’au tic, mais qui vaut adhésion à une autre réalité, celle d’un livre redevable d’une certaine tradition, où les procédés se sédimentent comme des preuves d’appartenance. Moix a foi en une mythologie de la création littéraire, au point qu’il mobilise tous les moyens stylistiques pour que le narrateur puisse saisir, dans ses filets, les deux infâmes géniteurs et les réduire à l’état de créatures fictionnelles. Violentes, grotesques, mais congédiables en une formule.
Ce théâtre de la cruauté n’est pas nouveau : au dix-neuvième siècle, Jules Renard, Jules Vallès ou Alphonse Daudet, parmi d’autres, avaient épinglé en entomologistes impitoyables ceux par qui le malheur arrivent (parents, enseignants), pour les achever avec tout ce que l’arsenal des procédés littéraires permet, sans qu’on éprouve à la lecture de leurs récits, comme à celle du livre de Moix, l’impression d’une redondance ou d’un trop-plein. De métaphores, d’adjectifs, de parataxes chevillées à une indignation ou à une exaltation.
C’est, depuis les premiers pas de l’écrivain, le point nodal du dissensus qui partage littéralement la réception critique et ce dernier récit ne convertira pas ceux qui détestaient l’auteur, quoique le texte soit également un chant d’amour à l’art dans lequel le narrateur a trouvé refuge, où la musique a sa part, aussi mal aimée par les parents que peut l’être leur enfant.
Sur le chemin jonché de ronces, il y a d’abord la figure tutélaire d’André Gide, mais bien davantage la perspective folle de devenir ce qu’il fut et de prolonger sa vie par d’autres moyens. Le salut par les livres, on connaissait. Mais le fantasme identitaire total, c’est assurément plus singulier et le protagoniste, devenu furieusement baudelairien, l’incarne en s’appropriant les vers du poète : fuir, là-bas fuir. Par tous les moyens.
En devenant par exemple l’auteur de Paludes, livre soustrait à la vigilance parentale, mais finalement sacrifié sur l’autel d’une colère incontrôlable. Le père s’empare de l’ouvrage, le réduit en miettes. Ou bien, en prolongeant par des textes maladroits et mimétiques ce que l’enfant, dévoreur de livres, chérissait alors dans le verbe, devenu chair, quand la sienne subissait une douleur insondable.
Cette admiration pour les écrivains se déploie d’une manière inversement proportionnelle à la haine qu’elle suscite dans le giron familial, les agressions s’en prenant soit au support du texte (L’idiot de la famille jeté sur la chaussée), soit aux mots eux-mêmes, prolongement d’un jeune auteur devenu admirateur de Francis Ponge, puni par une terrible scène de moqueries partagées, au sein d’un comité de lecture diabolique. Dans cette épiphanie de la beaufitude auto-satisfaite, les imitations du jeune amateur suscitent les railleries des parents, qui, après avoir dérobé des textes impis, ont convié des amis pour alimenter leurs sarcasmes inextinguibles, tandis que l’adolescent écoute derrière la porte. La scène rousseauiste en appelle dix, vingt autres, balisant le chemin d’une rupture définitive.
En contrepoint, l’institution scolaire où le protagoniste excelle est le deuxième lieu déceptif, entre autres parce qu’il souille, à la manière du duo parental, la littérature que l’enfant fréquente précocement. Pour élégante qu’elle soit, la seconde partie de l’ouvrage -"Dehors"- ne s’éloigne jamais du traditionnel récit initiatique, convoquant l’atmosphère du Grand Meaulnes, dans un geste déférent. Les rêveries de l’enfant puis de l’adolescent s’accommodent de quelques descriptions toponymiques plutôt convenues, qui parlent d’une école étrangement surannée, jusque dans les termes qui la désignent -"pion", "censeur"-, alors qu’on ne sache pas que Moix ait vécu sous la férule des hussard de la Troisième République.
On s’étonne également que l’ambition de l’auteur se réduise à un exercice de style, une imitation des grands maîtres, sans que jamais le propos ne s’éloigne d’une admiration criée, à laquelle un itinéraire de petit sartrien sera fidèle. Parfois, la phrase, grisée d’elle-même et de ses enchâssements bavards, dévoile ses intentions proustiennes, dans une sorte de vanité à double sens, de sorte que l’orgueil et la gratuité de ce récit interrogent. Pour autant, le roman n’est pas détestable, parce qu’on y lit aussi des portraits émouvants, parfois drôles, de camarades ou d’enseignants. Mais tout semble formellement si loyal à l’esprit d’une certaine littérature analytique qu’on regarde avec un drôle d’air les remous suscités par l’affaire Moix. Ce bon texte, qui n’est pas un grand texte, attend peut-être qu’on s’occupe de lui, davantage que de son auteur. Aux rédacteurs de procès-verbaux, on laissera le soin de parler du reste.
Yann Moix - Orléans
Grasset
14 x 2 x 20,5 cm
272 pages
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