Se souvenir des belles choses
Le 21 avril 2004
Amin Maalouf nous offre une fresque émouvante en hommage aux grandes figures de sa tribu.


- Auteur : Amin Maalouf
- Editeur : Grasset
- Genre : Roman & fiction

L'a lu
Veut le lire
La disparition de son père incite le narrateur à fouiller les archives familiales et repartir sur les routes empruntées par ses aïeux. Au fil de l’enquête, Amin Maalouf nous offre une fresque émouvante en hommage aux grandes figures de sa tribu.
Il y a cette photographie jaunie par le temps en couverture du livre. C’est un pique-nique en plein soleil où des femmes joliment chapeautées et des enfants assis à leurs côtés, pouffent de rire. Derrière, un homme debout les regarde, souriant, sans prêter attention à l’objectif. Un tableau de famille champêtre qui respire le bonheur et la sérénité. Mais la famille d’Amin Maalouf n’a pourtant pas toujours vécu ainsi. Génération après génération, la tribu a dû affronter l’adversité de l’histoire et les aléas des terres levantines. Les uns sont partis construire leur avenir à l’autre bout du monde, les autres ont choisi de rester pour contribuer à une société meilleure.
Les aventures de sa famille et ses légendes ont souvent alimenté les paraboles de l’œuvre d’Amin Maalouf, Prix Goncourt en 1993 pour Le rocher de Tanios. Mais cette fois-ci, l’auteur a préféré la réalité à l’anonymat afin de préserver les traces des siens et ressusciter les figures marquantes comme celle de son grand-père Botros et de son grand-oncle Gebrayel.
Le premier a choisi de rester au Liban. Homme de lettres éclairé, Botros s’est toujours refusé à accepter l’arbitraire et la corruption qui rongeaient le système politique. Fervent militant d’un enseignement de qualité pour tous, il s’est ainsi acharné à faire vivre une institution ambitieusement dénommée "école universelle" dans un petit village de "La Montagne". Le second, Gebrayel, a opté pour la conquête d’un avenir meilleur et a fait fortune à Cuba. Sa mort accidentelle entraînera cependant la faillite de son entreprise.
A la disparition de son père, Amin Maalouf s’est replongé dans le passé en fouillant une valise d’archives. Lettre après lettre, il décrypte les secrets de famille, mène une enquête minutieuse et repart sur les routes empruntées par ses aïeux, aussi loin que Cuba, pour ressusciter avec émotion leur destinée. Parfois, le découragement ponctue cette émouvante quête des origines comme il pouvait s’abattre sur les épaules de Botros en prise avec l’indifférence à son projet magnifique, mais l’auteur vite reprend l’étude de la tribu au gré des vestiges laissés ici ou là car même les âmes nomades sèment des indices au fil de leurs tribulations, "Nous ne bâtissons rien de durable mais nous laissons des traces. Et quelques bruits qui s’attardent."
Cette fresque n’est pas un simple hommage à des hommes et des femmes qui ont lutté avec pugnacité contre l’adversité, c’est également une profession de foi en matière de tolérance avec en toile de fond, l’espoir de Botros d’une société qui respecte les appartenances confessionnelles et les cultures de chacun tout en rejetant les conflits identitaires. Un rêve toujours d’actualité.
Amin Maalouf, Origines, Grasset, 2004, 486 pages, 26,50 €