Amour qui meut le ciel et les étoiles
Le 5 janvier 2011
Straub poursuit son cinéma de résistance, ôtant aux textes de Corneille, Brecht et Dante le vernis qui en neutralisait la force explosive et en les inscrivant dans l’ici et le maintenant.
- Réalisateur : Jean-Marie Straub
- Acteurs : Cornelia Geiser, Giorgio Passerone
- Genre : Court métrage, Expérimental, Politique
- Nationalité : Français, Italien
- Distributeur : Baba Yaga Films
- Durée : 1h14mn
- Date de sortie : 5 janvier 2011
- Plus d'informations : http://www.straub-huillet.com/
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Résumé : Le dernier chant du "Paradis" de "Divine Comédie" de Dante. Le film est précédé de "Corneille-Brecht ou Rome l’unique objet de mon ressentiment", extrait d’{Horace} de Corneille, et de "Das Verhoer des Lukulus", pièce radiophonique de Brecht.
Critique : Au commencement était le verbe : c’est la règle dans le cinéma de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub depuis Machorka-Muff en 1962 ; mais le texte, qu’il soit de Hölderlin, Kafka, Pavese ou Vittorini, est toujours ramené à sa réalité matérielle, le vernis de surface ôté pour faire ressortir la charpente, les aspérités accusées au lieu d’être gommées. Il est aussi confronté à l’ailleurs d’un lieu et d’un moment précis, celui du tournage que le film documente précisément, attentif à saisir les altérations de lumière, les incidents sonores, la matérialité de l’air.
Les textes choisis sont toujours de ceux qui résistent à l’interprétation lisse et rassurante. Souvent, ce sont aussi des textes de résistance.
Et c’est par des actes de résistance contre la violence policière que débute ce programme de court-métrages qui fait suite à Trois films de Jean-Marie Straub sorti en 2008.
D’abord 27 octobre, le ciné-tract, déjà diffusé précédemment, qu’a réalisé en 2006 Jean-Claude Rousseau sur une idée de Straub et Huillet pour Fuori orario, le remarquable magazine de Rai Tre, à l’occasion du centenaire de Rossellini.
Cinq fois de suite, deux panoramiques montrent le périmètre interdit d’un transformateur électrique de Clichy-sous-Bois où deux jeunes garçons poursuivis par la police sont morts brûlés vifs le 27 octobre 2005.
Pour Joachim Gatti rend hommage au jeune homme qui a perdu un œil le 2 juillet 2009 à Montreuil à la suite d’un tir de Flash-Ball tiré par un policier pendant un rassemblement de soutien aux occupants d’une clinique désaffectée, expulsés le matin même. Straub montre une photo de Joachim Gatti, ainsi qu’un plan de Cas par K, réalisation collective autour du manifeste surréaliste Nous n’irons pas à l’exposition coloniale, et lit un extrait du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau qu’il clôt par cette phrase : Et moi Straub je vous dis que c’est la police armée par le Capital, c’est elle qui tue !
Dans Corneille-Brecht Cornelia Geiser dit d’abord, filmée en contre-jour devant une fenêtre donnant sur une cour, la célèbre tirade de Camille dans Horace : Rome, l’unique objet de mon ressentiment. La pugnacité du texte et la beauté âpre de la langue de Corneille ressortent avec la même évidence que dans Othon en 1969.
Puis l’actrice lit les scènes 6 à 12 de la pièce radiophonique de Bertold Brecht Das Verhör des Lukullus (1940) qui met en scène le général romain Lukullus comparaissant, tout fier encore de sa gloire guerrière, devant le tribunal de l’au-delà, et accablé par les témoignages des personnes représentées sur sa frise funéraire, qui ne parlent que de mort et de destruction.
Si la charge antimilitariste est puissante et véhémente, la langue de Brecht est certes moins heurtée que celle de Corneille. Aussi, pour éviter une trop grande fluidité, Straub a scindé le texte en plusieurs plans au cadrage rigoureusement identique mais différenciés par les vêtements de l’actrice.
Il existe deux versions alternatives de ce film de vingt sept minutes, une pratique fréquente chez les Straub qui tournent toujours un nombre impressionnant de prises.
Le programme se conclut d’ailleurs sur deux versions de O somma luce, la première sous-titrée, l’autre non. On entendra donc deux fois, sur fond noir, sept minutes de la création houleuse de Déserts au Théâtre des Champs-Élysées, le 2 décembre 1954, par l’Orchestre National dirigé par Hermann Scherchen, avant que Giorgio Passerone ne dise les vers 67 à 145 du chant 33 du Paradis de Dante.
Le film s’inscrit dans la continuité du travail mené depuis Sicilia à Buti, en Toscane et fut d’abord, comme les précédents, un spectacle scénique en septembre 2009.
Dans la version filmée, le texte assez ésotérique de Dante entre en résonance avec un paysage de fin d’été : une clairière bordée d’une vigne au milieu de collines boisées que découvrent de lents panoramiques. Les papillons viennent battre contre la caméra numérique (à l’emploi de laquelle Straub a fini par se résoudre), et les nuages qui passent provoquent d’incessantes variations de lumière. Ce qu’on essaie en général d’éviter ou de gommer par souci d’homogénéité, est pour Straub la part la plus précieuse du cinéma. Car le choc tellurique de la musique de Varèse nous aura préparés à recevoir de plein fouet la présence de la terre et de l’air dans les collines pisanes et à entendre les vers du poète : « A l’alta fantasia qui mancò possa ;
ma già volgeva il mio disio e ’l velle,
sì come rota ch’igualmente è mossa, l’amor che move il sole e l’altre stelle. » (À la haute imagination ici manqua le pouvoir ; mais déjà, comme une roue mue également, tournait mon désir et le vouloir l’Amour qui meut le Soleil et les autres étoiles. - Traduction Lamennais)
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