L’arbre écoute
Le 16 août 2012
Confrontant un texte ardu et sublime de Hölderlin à l’été sicilien, ce film a la fois exigeant et respirant la liberté est peut-être un des plus accessibles des Straub. Il constitue la pièce maîtresse du volume 7 de l’indispensable intégrale DVD en cours aux éditions Montparnasse.
- Réalisateurs : Danièle Huillet - Jean-Marie Straub
- Acteurs : Howard Vernon, Andreas von Rauch, Vladimiro Baratta, Ute Cremer, Martina Baratta
- Genre : Drame, Historique, Expérimental
- Nationalité : Français, Allemand, Italien
- Distributeur : Les Films du Losange
- Editeur vidéo : Éditions Montparnasse
- Durée : 2h07mn à 2h12mn selon les versions
- Titre original : Der Tod des Empedokles oder Wenn dann der Erde Grün von neuem euch erglänzt
- Date de sortie : 14 octobre 1987
- Plus d'informations : http://www.editionsmontparnasse.fr/...
- Festival : Festival de Berlin 1987
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– Titre intégral : La Mort d’Empédocle ou Quand le vert de la terre brillera à nouveau pour vous
– Tourné de mai à Juillet 1986 à Raguse (Sicile) et sur les pentes de l’Etna
– Quatre versions montées à partir de prises différentes.
– Sortie DVD le 4 septembre 2012
L’argument : Dans un jardin sicilien, Panthéa, la fille de l’archonte Critias, et son amie athénienne Delia, évoquent le philosophe Empédocle. Empédocle, le célèbre philosophe "trop aimé des Dieux", "le rêveur redoutable" erre maintenant, abandonné des Dieux, pour avoir oublié la différence entre eux et lui, simple mortel. Panthéa lui voue un véritable culte ; c’est lui qui l’a sauvée d’une mort certaine. Critias, hésitant, et Hermocrate, le prêtre, fermement décidé, vont le dénoncer au peuple d’Agrigente et demander son exil. Empédocle, quant à lui, revendique "la dignité de sa souffrance" et son droit à "suivre le sentier sacré de la mort", en se confiant au jeune Pausanias, son fidèle disciple. Persuadés par Hermocrate, les citoyens chassent Empédocle, qui les supplie alors d’épargner Pausanias, et conseille à Critias, pour le bien de Panthéa, de partir avec elle à Délos. Tandis que Panthéa et Délia se lamentent sur son sort, Empédocle part avec Pausanias qui a refusé de le quitter, après d’émouvants adieux à ses anciens esclaves et à sa maison. Tous deux errent douloureusement, méprisés et chassés par tous. C’est alors que Critias, Hermocrate et les représentants des citoyens les retrouvent, pour supplier Empédocle de revenir parmi eux et reprendre son enseignement. Empédocle, résistant à toutes les prières, refuse et célèbre la mort choisie, qui va le réconcilier avec son destin et le réintégrer dans la Nature.
Critique : Hölderlin a réécris trois fois la pièce qu’il a consacrée au philosophe pré-socratique d’Agrigente, une des figures les plus hautes en couleurs de l’Antiquité grecque. Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ont choisi d’en faire entendre ici, presque intégralement (il manque la scène finale), la première version de 1798.
- Andreas von Rauch dans Der Tod des Empedokles (1986)
Empédocle y apparaît comme un visionnaire inspiré, défenseur exalté de la démocratie face à la tyrannie des prêtres, orgueilleux et humble à la fois, conscient de son statut d’élu des dieux mais aussi de son simple rôle d’intermédiaire.
Il est celui auquel, dit-on, comme le rapporte Panthea dans la première scène, les plantes … prêtent attention où qu’il pose le pied (Man sagt, die Pflanzen merkten auf ihn, wo er wandre). Et c’est bien ce qui saisit le spectateur de stupéfaction émerveillée à chaque plan de cette Mort d’Empédocle filmée en Sicile durant l’été 1986 : qu’ils soient en arrière-plan des acteurs ou qu’ils occupent seuls le contrechamp, les arbres agités par le vent, le paysage à la lumière sans cesse changeante y vivent intensément de leur vie propre, indépendante, mais semblent en même temps dialoguer avec les personnages, écouter, réagir même à ce texte ardu qui allie la complexité extrême à l’évidence de la plus parfaite simplicité.
Le cinéma des Straub, à la fois austère et intensément sensuel, n’est jamais simplement contemplatif. Il vit de la confrontation des éléments hétérogènes : textes denses et porteurs de sens, voix et corps célébrés dans leur singularité irréductible, nature captée dans son irrépressible présent météorologique. Le film demande indiscutablement un effort de concentration mais en même temps un abandon à la sensation immédiate et il n’est pas nécessaire d’être germaniste ou familier de la langue et de la pensée poétique d’Hölderlin pour dialoguer à son tour avec ce texte qu’on peine parfois à suivre mais qui soudain, par bribes, nous parle avec une évidence presque aveuglante.
Cette alternance d’obscurité et d’illumination subite est au cœur d’un dispositif qui repose largement sur l’effet de surprise permanent mais jamais gratuit et installe un véritable suspense, une attente sans cesse comblée, une espèce de tension joyeuse.
- Affiche de La mort d’Empédocle pour la sortie en salles de 1987 (Les films du Losange)
Le film est d’ailleurs souvent drôle et déploie un véritable sens du burlesque, aspect essentiel du cinéma des Straub bien que rarement souligné par les commentateurs : subtil et irrésistible cabotinage de Howard Vernon en grand prêtre, ahurissantes psalmodies grotesques, toutes différentes, des trois habitants d’Agrigente qui font fonction de chœur.
Un air de liberté souffle ici, qui rend cette œuvre exigeante peut-être plus accessible que d’autres de ses auteurs et pourrait avoir raison des réticences de ceux qu’irritent les aspérités d’un cinéma fondé sur une morale du choix tranché : cadrages en apparence arbitraires (coupant par exemple les têtes) mais indiscutables qui signalent que ce qu’on voit à l’écran n’est jamais la totalité mais un fragment, un morceau découpé d’un réel plus vaste, hors champ ; rythme musical, tout en ruptures, d’un montage extraordinairement articulé ; gestes et mouvements comme isolés qui font sentir le poids physique des corps dans l’espace ; refus d’homogénéiser les dictions à la fois tenues à des règles précises et respectueuses des timbres et des particularités propres à chaque locuteur (accents étrangers, voire défauts de prononciation).
C’est cette prodigieuse variété, cette formidable interaction des éléments qui font de ce cinéma à la fois professionnel (plus que tout autre) et résolument amateur un véritable œil ouvert sur le monde.
Le DVD
- Straub et Huillet - volume 7
Huit films, longs et courts, sont réunis dans le coffret de trois DVD qui constitue le volume 7, avant-dernier de l’indispensable intégrale Straub-Huillet en cours aux éditions Montparnasse.
Les suppléments
Ce ne sont évidemment pas des suppléments à proprement parler que les sept films qui accompagnent La mort d’Empédocle dans cet ensemble exceptionnel. Chacun mérite amplement un traitement à part :
– Noir péché / Schwarze Sünde : Empédocle, philosophe grec, annonce aux deux personnes qui ont compté dans sa vie, Manès et Pausanias, sa décision d’en finir avec la vie en se précipitant dans l’Etna. (Texte de présentation de l’éditeur)
Tourné durant l’été 1988 sur les pentes de l’Etna, à 1800 mètres d’altitude, avec à nouveau Andreas von Rauch (Empédocle), Vladimir Baratta (Pausanias) et Howard Vernon (Manès et non plus le grand prêtre Hermocrate), ce film de 40 minutes dialogue avec le précédent. Il fait résonner le texte de la troisième version, inachevée, de La mort d’Empédocle dans l’air vif et les teintes plus sombres de ces hauteurs et s’achève sur une saisissante apparition de Danièle Huillet (le chœur).
– Trop tôt/trop tard (Zu früh/Zu spät) (1980/1981) :
Accompagnant des vues de la campagne française et de quelques villes, un discours sur la misère en France à la fin du XVIIIe siècle à laquelle ni la Révolution, ni la Commune n’ont rien changé. Sur des images de l’Égypte, un propos relatant la résistance du peuple à l’occupation étrangère, la répression, puis la récupération par le pouvoir. (Texte de présentation de l’éditeur)
Un film magistral qui repose sur le principe de la non-illustration du texte par l’image et du dialogue qui s’instaure pourtant entre eux. La première partie commence par un étourdissant mouvement circulaire pris depuis le centre de la place de la Bastille tandis que la voix de Danièle Huillet lit une lettre de Engels sur la Révolution française puis confronte les écrits du même Engels sur la condition paysanne en France à des plans actuels des villages, villes et paysages dont il est question dans le texte. La deuxième confronte un extrait de la postface du livre de Mahmoud Hussein Luttes de classes en Égypte à des plans filmés en 1981 sur les bords du Nil. Là encore, la joie de la pure contemplation émerveillée est comme irriguée par le texte sans que le fossé entre les deux soit jamais comblé.
– Le Genou d’Artemide (2007) d’après Cesare Pavese.
– Le streghe – Femmes entre elles (2008) d’après Cesare Pavese.
– L’Inconsolable(2010) d’après Cesare Pavese.
– Un héritier (2010) d’après Maurice Barrès .
– Chacals et Arabes (Schakale und Araber) (2011)d’après la nouvelle (1917) de Franz Kafka.
Image
Le report numérique a conservé à l’image aux chaudes couleurs et à la lumière changeante, signée Renato Berta, Jean-Paul Toraille et Giovanni Canfarelli, son indispensable splendeur. On signalera tout juste que les sous-titres optionnels, trop blancs et trop petits, sont difficiles à lire sur cette image elle-même très lumineuse.
Les qualités propres de la photo des autres films sont respectées également mais il semble que le 16mm de Trop tôt / trop tard (Zu früh / Zu spät) ait quelque peu souffert des outrages du temps, du moins en ce qui concerne la définition, couleurs et luminosité restant intacts. On notera aussi quelques menus défauts de compression sur Schwarze Sünde. Rien de réellement gênant cependant.
Son
Son mono bien entendu, bien défini, qui permet une parfaite intelligence du texte et une perception sensuelle des timbres de voix et des bruits de la nature estivale sicilienne.
Galerie Photos
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