Le 4 novembre 2015
Film fleuve, Norte impose son rythme grâce à sa mise en scène élégante et précise. Une relecture puissante de Dostoïevski.
- Réalisateur : Lav Diaz
- Acteurs : Archie Panjabi, Sid Lucero, Angeli Bayani
- Durée : 4h10mn
- Titre original : Norte, Hangganan Ng Kasaysayan
- Âge : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
- Date de sortie : 4 novembre 2015
- Festival : Festival de Cannes 2013
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Film fleuve, Norte impose son rythme grâce à sa mise en scène élégante et précise. Une relecture puissante de Dostoïevski.
L’argument : Joaquin, un homme à la vie simple, est injustement emprisonné pour meurtre alors que le véritable assassin se déplace en toute liberté. Il commence à trouver la vie en prison plus supportable lorsque que lui arrive quelque chose d’étrange et de mystérieux.
(C) Shellac
Notre avis : Comment analyser un film d’une telle ampleur que Norte, la fin de l’histoire ? Ce nouveau film de Lav Diaz, l’un des chefs de file du nouveau cinéma philippin, est pourtant court (quatre heures) comparé à ses autres œuvres (Melancholia durait 8 heures, From What is Before - Léopard d’Or 2014 au Festival de Locarno – près de 7 heures). A noter que Norte est le premier film du réalisateur a avoir été présenté à Cannes dans la compétition Un certain regard en 2013. Le titre nous donne déjà beaucoup d’informations sur les thèmes déployés par Lav Diaz. L’histoire se déroule dans la province de Ilocos au nord des Philippines loin de Manille. Lav Diaz suit les destins parallèles de Fabian, un brillant étudiant en droit issu d’une famille aisée, et celui d’une famille modeste qui a dû renoncer au projet d’ouvrir une petite cantine faute de moyens. Les destins de ces personnages antagonistes vont être rattrapés par l’argent que détient une usurière qui les tient sous sa coupe.
La fin de l’histoire évoque l’ouvrage du politologue Francis Fukuyama (La fin de l’histoire et le dernier homme) qui prédisait, dans les années 90, que la dislocation du bloc soviétique concourrait à la suprématie de la démocratie libérale et du principe capitaliste. Ces éléments font sens dès la scène inaugurale. Le film débute par une discussion entre amis sur la vie politique du pays. Fabian est déjà au centre de la bande parlant plus fort que les autres et avec plus de véhémence. Son dégoût nihiliste est déjà prégnant, même si, par la suite, le ton de ces scènes discursives oscille entre le sérieux et la farce. Toutefois certaines phrases énoncées par Fabian mettent la puce à l’oreille. Très vite il s’oppose au « monde révisionniste des vieux » et évoque cette jeunesse philippine qui est prête à tout. Jusqu’au moment où il fait l’éloge de la loi du Talion revendiquant le droit pour l’homme opprimé de tuer son bourreau. Ses amis s’esclaffent devant ses excès, le spectateur rit jaune. Derrière la figure de Fabian, on pense au président Ferdinand Marcos, né lui aussi dans la région de Norte, qui fut étudiant en droit et accusé du meurtre d’un opposant politique. Par un dispositif de mise en scène très simple, Lav Diaz sépare toujours Fabian du reste du groupe. Les plans larges fixes les montrent réunis, souvent assis en train de boire une bière, tandis que Fabian est toujours debout, à l’écart, déjà prêt au combat. Et celui-ci arrive plus vite que prévu. Grand théoricien de la violence, il décide, un soir, de passer à la pratique. Concours de circonstances ou dure loi de la fatalité, un peu plus tôt, le jour du meurtre, Joaquin, excédé par le pouvoir qu’exerce l’usurière sur sa famille, va sortir de ses gonds et la frapper. Mais c’est Fabian qui passera à l’acte dans la nuit. Il tue la prêteuse de gages ainsi que sa fille. La mécanique de Crime et Châtiment est en marche. Joaquin sera accusé et emprisonné pour le meurtre tandis que Fabian fuira à Manille sans en être inquiété. On pense évidemment au roman de Dostoïevski, l’une des grandes références littéraires de Lav Diaz. Comme Fabian, Raskolnikov s’en prend à l’usurière qui le condamne à la soumission. Son meurtre, croit-il, aurait le pouvoir d’enrayer la machine capitaliste et de mettre fin aux castes sociales. Pour autant la culpabilité n’est pas traitée de la même manière car le châtiment reste en suspens.
(C) Shellac
On peut diviser le film en deux parties distinctes : si l’une est plutôt discursive, l’autre plonge les protagonistes dans le silence et l’abîme. Les discussions collectives laissent place à la solitude de chacun. Après le meurtre, Fabian est reclus à Manille, évitant le contact avec les autres. De son côté, Joaquin s’efforce de trouver une échappatoire. Les deux destinées s’entremêlent de manière fluide grâce à un montage très précis. Une des plus belles scènes du film et l’une des plus déchirantes présente la femme de Joaquin qui part vers la mort, emportant avec elle ses deux enfants, alors qu’elle vient de quitter son mari. Ils arrivent tous les trois au bord de la falaise, le vent souffle, la mère regarde le vide en contre-plongée. La scène d’après on la retrouve devant un manège souriant devant la joie innocente de ces enfants. Ce découpage d’une simplicité désarmante est l’une des plus grandes réussites de Norte. La deuxième partie s’avère moins convaincante cédant à un manichéisme un peu forcé. A mesure que Fabian sombre dans la folie meurtrière et se vide de toute humanité, Joaquin découvre la grâce et la sainteté. Ce dernier prend en charge les vices et les péchés de ses compagnons de cellule et vit sa dernière vie dans ses rêves. Il devient pur esprit naviguant au-dessus de son village comme un fantôme bienveillant. Fabian se cloître dans des chambres sans lumière à Manille et crée à sa façon une cellule d’emprisonnement. Pour l’un le meurtre a irrémédiablement conduit à une rupture avec le monde des hommes, pour l’autre l’enfermement a permis la naissance d’une vie spirituelle. L’idée d’un montage parallèle entre ces deux êtres qui vivent dans deux états contraires est assez belle mais paraît un peu mécanique. L’écriture est moins subtile même si la mise en scène - et les lents travellings qui accompagnent les personnages - reste d’une grande précision.
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