Le 13 septembre 2016
- Réalisateurs : Tom Ford - Lav Diaz
- Festival : Festival de Venise 2016
Petit retour sur la Mostra de Venise 2016, entre déceptions et - trop rares - fulgurances.
Etablir un bilan de la 73e Mostra de Venise avec moins de 30 films au compteur pour une manifestation qui en comptait plus d’une centaine, sections parallèles comprises, n’est dans le fond pas si raisonnable. Il n’empêche : exception faite du Voyage of Time Terrence Malick, de La Region Salvaje d’Amat Escalante, et du film The Woman Who Left, de Lav Diaz, les gros bras du festival qu’étaient les Wim Wenders, Derek Cianfrance, François Ozon ou encore Denis Villeneuve n’auront pas échappé à notre regard. De quoi donner quelque part la tonalité générale de l’édition 2016 du plus vieux festival de cinéma de la planète, un an après une édition moquée par la critique et devenue légendaire par son absence de grands films.
Quand Venise se dédouble fallacieusement à l’écran
Visionner un long-métrage sur le lungomare longeant l’île du Lido après avoir traversé les splendeurs de Venise n’est paradoxalement pas la meilleure façon pour apprécier un film à sa juste-valeur. Simplement parce que la beauté de la cité des Doges fausse nos impressions, nous empêche de voir à l’instant T les coutures là où les fils dépassent. C’est donc après la frénésie de l’évènement, une fois les portes du Palazzo del Cinema refermées à l’issue de la remise des prix, que les sens reprennent rétrospectivement leurs droits. Qu’en est-il alors réellement de cette fournée 2016, une fois le sortilège conjuré ? Ne pas reconnaître les prouesses de Denis Villeneuve - ici avec Premier Contact - ou réduire le style de Tom Ford (Nocturnal Animals) à un schéma clinquant et creux, serait étonnant. Regretter au contraire le caractère ampoulé du dispositif filmique et dramaturgique de Wim Wenders (Les Beaux Jours d’Aranjuez), ou la platitude et la mièvrerie des sentiments chez François Ozon (Frantz), se tient en revanche davantage. A ceci près que l’on peut comme nous voir en la démarche du cinéaste allemand une composition d’une extrême justesse. Mais plutôt que de revenir sur les qualités et défauts des uns et des autres, déjà évoqués dans nos critiques, prenons les structures déployées en compétition de la Mostra de Venise 2016 dans leur ensemble. Si un festival international de cinéma de premier plan se doit en théorie de mettre en évidence ce que l’art et essai, entre autres, compte de plus inventif à une période donnée, alors cette édition n’a sans doute pas tout à fait rempli son contrat - la faute à des tics de mise en scène parfois indignes d’un cinéma se rêvant affranchi des grandes logiques industrielles. De La La Land à Frantz en passant par Une vie entre deux océans, de Polina hors compétition à In Dubious Battle, difficile de ne pas sentir dans de nombreux longs-métrages de la sélection officielle, et ce, dès les premiers plans, un gimmick voire même un fil d’Ariane. De ces rengaines trop voyantes pour faire perdre de vue même au cinéphile le plus distrait les rouages, tous les subterfuges de scénario laissant deviner de quoi sera fait l’heure et demie à venir. C’est pourtant une plongée vers l’inconnu, un voyage au bout des sens et jusqu’aux arcanes des formes, que l’on espérait ici.
Des mécaniques trop superficielles
Combien de plans d’ensemble si typiquement romantiques cadrant une nature indomptable et aux prises des éléments pour signifier une existence entrecoupée d’aléas, combien de gros plans sur un visage transi par l’émotion ou la refoulant en son for intérieur - le fameux effet miroir titillant les glandes lacrymales du spectateur ? Combien de mélodies tantôt enjouées, tantôt mélancoliques pour accompagner le basculement progressif d’une scène - déjà prévisible - sur son envers ? Pourquoi le cinéma de la Mostra ne pourrait-il pas décliner une autre rhétorique, s’éloigner des poncifs et articuler un langage propre à chaque metteur en scène ? Où le cinéaste miserait sur l’autonomie d’un public capable de trouver une résonance ou un sens là où l’enchevêtrement des images s’absout de toute logique ou stratification compassée. Cette tendance à s’enfermer systématiquement dans un modèle, à tisser les mailles d’un scénario selon un canevas préfabriqué, empêche toute fantaisie de mise en scène. Pire : toute réflexion méta sur le cinéma se voit le plus souvent court-circuitée. Cette pathologie témoigne quelque part, même chez les grands auteurs, d’une tendance à s’en remettre à une dynamique vampirisée par le marketing. Puisque le long-métrage correspond si bien aux codes et aux attentes de spectateurs déjà formatés, son patchwork et son langage siéent aussi à merveille aux sociétés choisies par le distributeur, passées maître dans l’art des bandes annonces uniformes – quand elles ne dévoilent pas la fin du film ou le dénaturent. Comme si une partie du travail de promotion avait déjà été consciemment ou non prémâché par le réalisateur. Alors, le festival de la Mostra de Venise ne servirait que de menu aux prochaines sorties, privilégiant les retombées économiques sur le poids artistique et sur le potentiel historique de sa programmation.
Un palmarès logique, une sélection versatile
- The Woman Who Left - Copyright Hazel Orenico
Récompenser le nouvel hyper long-métrage de l’intrépide Lav Diaz - star ultime des festivals qui reste toujours inconnue du grand public - plutôt que le denier amphigouri de Terrence Malick, ou Tom Ford plutôt que Derek Cianfrance, est faire preuve néanmoins d’un certain engagement et même d’objectivité. Aussi, rien d’illogique à tendre la coupe Volpi à la piquante Emma Stone (La La Land) ou à décerner le prix du meilleur espoir à l’élégante Paula Beer (Frantz). Mais Sam Mendes et sa bande ne permettent pas pour autant de gommer toutes les imperfections de cette 73e édition, ne serait-ce que parce qu’un cheptel de metteurs en scène renommés - bien que servant à redorer le blason d’un festival en mal de gloriole et pris de vitesses ces dernières années par Toronto, entre autres - ne suffit pas. L’inquiétant, au contraire, est de voir le manque d’idées neuves de ces réalisateurs mondialement adoubés, de s’apercevoir une nouvelle fois que le souffle leur manque, alors même que la place laissée aux nouvelles générations fait cruellement défaut ici ou presque. Bien que le festival de Cannes 2016 ne soit à ce titre pas exempt de reproches, ce dernier se démarque tout de même par ses quelques prises de risque : en cela, les excellents Rester Vertical - injustement boudé en salles - et Ma Loute font figure de porte-étendard. Autre pathologie de la Mostra 2016 : l’habitude de ses films à systématiquement justifier le peu d’invention dont ils font état en citant les classiques. Ainsi Frantz ne serait rien sans Vertigo, Une vie entre deux océans rien sans L’aventure de Mme Muir, La La Land rien sans les 70 années de comédies musicales l’ayant précédé, In Dubious Battle vide malgré John Ford et Steinbeck - la liste est longue. Deux films, sans doute, contournent cette limite sans s’en priver totalement car ne tombant ni dans la grandiloquence ni dans la fausse modestie : le kubrickien Premier Contact et le Lyncho-Cronenbergien Nocturnal Animals. Ce dernier, qui pourrait autant souffrir de son formalisme radical que le superbe The Neon Demon de Nicholas Winding Refn, réussit lui aussi à s’en défaire par la satire et le second degré. C’est justement cette légèreté et cette folie qui manquait à la compétition de la Mostra de Venise cette année, malgré les quatre heures de The Woman Who Left - unique caution bigarrée de la Mostra 2016.
Reste que si cette 73e édition retombe par certains aspects comme un soufflet là où son programme en compétition promettait monts et merveilles, elle permet aussi au festival de retrouver des couleurs et de revenir au premier plan après ce qui se présageait comme une interminable traversée du désert. Si l’échec artistique, sauf quelques propositions de cinéma, n’est pas loin - quel intérêt de programmer Brimstone ou le James Franco ? -, le buzz suscité par le rendez-vous de tous ces cinéastes "crédibles" a pour sa part fait mouche. Là résidait certainement le principal objectif que s’était cette année fixé Antonio Barbera et son équipe afin de contrer la concurrence. Le moment semble donc venu de mutualiser ce relatif succès l’an prochain, tout en optant en sus du simple coup de communication, pour un engagement artistique digne de ce nom.
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