Le 14 septembre 2015
Censuré au Maroc, où une version sans le montage final a finalement fuité, Much Loved a fait face à des réactions violentes, parfois même haineuses. Notre avis...
- Réalisateur : Nabil Ayouch
- Acteurs : Loubna Abidar, Asmaa Lazrak, Halima Karaouane, Sara Elmhamdi Elalaoui
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Marocain
- Durée : 1h44mn
- Titre original : Zin li fik
- Date de sortie : 16 septembre 2015
- Plus d'informations : Lien vers la page Facebook officielle
- Festival : Festival de Cannes 2015
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Résumé : Marrakech, aujourd’hui. Noha, Randa, Soukaina et Hlima vivent d’amours tarifées. Ce sont des prostituées, des objets de désir. Vivantes et complices, dignes et émancipées, elles surmontent au quotidien la violence d’une société qui les utilise tout en les condamnant.
Critique : Censuré au Maroc, où une version sans le montage final a finalement fuité, Much Loved a fait face à des réactions violentes, parfois même haineuses. Nabil Ayouch propose pourtant une œuvre courageuse interpellant les spectateurs et interrogeant le regard porté sur la prostitution. Un film nécessaire qui ose aborder frontalement son sujet tout en proposant un portrait sensible, humain et attachant de ses personnages.
Après avoir traité la radicalisation religieuse dans les bas quartiers de Casablanca à travers son précédent film, Les Chevaux de Dieu, c’est dans une veine réaliste et une mise en scène plus sobre que Nabil Ayouch décide de s’attaquer au thème de la prostitution. Le réalisateur fait ainsi le choix d’un sujet audacieux et difficile à traiter afin de dévoiler ce qui est caché et tabou, ce qui fait honte à la société marocaine. Much Loved montre ainsi deux faces de la prostitution : l’image fantasmée avec l’argent facile coulant à flot lors de soirées dans les villas luxueuses de clients richissimes, mais aussi la réalité quotidienne bien plus ingrate où, malgré une certaine autonomie financière, les femmes sont prisonnières d’un mode de vie qui détruit petit à petit leur amour-propre. Ni moralisateur ni misérabiliste, le film ne recule pas devant la complexité des situations vécues et des sentiments éprouvés par ses protagonistes, sur lesquelles le réalisateur pose un regard plein d’empathie.
- © Pyramide Films
Sans s’attarder outre mesure sur les raisons qui ont poussé Noha (Loubna Abidar), Randa (Asmaa Lazrak), Soukaina (Halima Karaouane) puis plus tard Hlima (Sara Elmhamdi Elalaoui) à s’engager dans la prostitution et sans jugement de valeur, la caméra cadre ces femmes par des plans rapprochés créant une proximité émotionnelle et physique avec les personnages. Dans les moments d’intimité et de calme, ce sont les visages qui apparaissent, révélant la personnalité de chacune : Noha, la grande sœur, dont les instincts protecteurs laissent parfois place à une certaine rudesse ; Randa, introvertie, révoltée et en plein questionnement sur sa propre sexualité ; Soukaina, plus douce, tentant de faire coexister son aspiration à l’amour et sa vision lucide de sa condition ; et enfin Hlima, honnête et simple dans son rapport au monde. Le réalisateur produit un contraste entre cette intimité et les moments de travail, pendant lesquels la caméra montre le corps morcelé, réduit à des seins et des fesses, faisant écho au regard du client et soulignant l’aliénation des corps, fragmentés, qui deviennent véritablement marchandise. En dépit de leur apparente liberté, les protagonistes de Much Loved ne sont jamais véritablement actrices de leur désir, sans échappatoire à leur situation et toujours rattrapées par la prostitution.
D’autres personnages entrent par ailleurs en interaction avec ces femmes. Le chauffeur de taxi, Saïd (Abdellah Didane), constitue une figure d’eunuque, de gardien, qui apparaît progressivement au spectateur comme un véritable protecteur. Travestis, homosexuels et autres marginaux – que la société prend soin de garder dans l’ombre tout en continuant d’abuser d’eux – achèvent de constituer cette famille recomposée atypique au sein de laquelle les jeunes femmes trouvent un refuge salvateur mais qui n’efface pas pour autant l’extrême solitude des personnages dans leur désir d’amour et d’acceptation.
- © Pyramide Films
Par-delà la prostitution, Much Loved pose la question de l’amour et de la sexualité dans la société d’aujourd’hui et en particulier dans la société arabe. Les clients des prostituées, provenant généralement des pays du Golfe, illustrent la manière par laquelle les interdits culturels engendrent une frustration sexuelle poussant les individus à entretenir une vision manichéenne des femmes. Celles-ci tombent alors dans deux catégories distinctes et impénétrables l’une à l’autre : les épouses et les mères d’une part, pour qui l’on réserve l’amour et la procréation ; les prostituées d’autre part, qui ne servent qu’à recevoir les pulsions sexuelles des hommes. L’on retrouve l’impossibilité de conciliation de ces deux conceptions de la femme dans le personnage de Noha, chargée de subvenir aux besoins de sa famille mais ne pouvant ni endosser le rôle de mère pour son fils ni s’insérer dans le noyau familial traditionnel. Un point de vue finalement également dommageable pour les hommes, qui se retrouvent cantonnés à une image unique et limitée de la masculinité, nécessairement hétérosexuelle et manifestant sa virilité par son agressivité. Chaque sexe est en fin de compte victime de ses représentations au sein d’une société prise dans ses contradictions. Une telle position paradoxale se distingue précisément dans le comportement de la mère de Noha, qui accepte l’argent que sa fille lui donne en sachant très probablement d’où il provient mais qui, en plein déni de la réalité, rejette cette dernière par peur des rumeurs circulant à son sujet. Long-métrage dense, Much Loved parvient ainsi à aborder de nombreux thèmes – sexualité, désir, amour, homosexualité, travestissement, représentations de la femme et de l’homme – mais aussi des sujets bien plus sombres tels que le tourisme sexuel et la prostitution enfantine.
Tourné avec des actrices non professionnelles, Much Loved se démarque par la franchise et le naturel de leur jeu, contribuant à la fraîcheur de ton du long-métrage, soutenu en outre par une photographie aux couleurs travaillées. Loin d’un quelconque voyeurisme gratuit et complaisant, Nabil Ayouch pose de véritables questions de société avec le plus grand respect pour son sujet. Much Loved mérite en cela d’être pris en considération, diffusé et vu par le plus grand nombre.
- © Pyramide Films
– Sortie DVD : 15 février 2016
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