Le 2 octobre 2016
L’itinéraire glacé et désespéré d’une jeune fille, sous l’œil implacable du maître Bresson.
- Réalisateur : Robert Bresson
- Acteurs : Nadine Nortier, Jean-Claude Guilbert, Marie Cardinal, Paul Hébert
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Distributeur : UGC Distribution, Compagnie Française de Distribution Cinématographique (CFDC)
- Durée : 1h21mn
- Reprise: 19 octobre 2016
- Date de sortie : 15 mars 1967
- Festival : Festival de Cannes 1967
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Résumé : Mouchette, au seuil de l’adolescence, vit dans une campagne misérable. Elle est témoin d’une dispute entre le garde-champêtre et un braconnier. Un peu plus tard dans la nuit, le braconnier la viole.
Critique : Dix-sept ans après Le Journal d’un curé de campagne, Bresson adapte de nouveau Bernanos (Nouvelle histoire de Mouchette), mais cette fois la religion n’est plus qu’un univers lointain, réduit à des cloches et une église sans âme : le cinéaste enregistre la perte (de foi, d’humanité, de sens), comme il le faisait avec son film précédent, Au hasard Balthazar et d’une certaine manière la jeune fille est la « sœur » de l’âne, leur parcours similaire, un rejet perpétuel, les menant tous les deux à la mort. C’est qu’il n’y a plus de place pour une certaine pureté, pureté que les hommes molestent, brisent et violent. Dès la seconde séquence, admirable et muette, l’affrontement entre le braconnier Arsène et le garde-champêtre Mathieu est un concentré de ce que sera le film : des gestes, des regards (on ne cesse de s’épier dans le monde de Mouchette) et de la violence, ici encore contenue, mais bien présente : des mains qui piègent, des yeux qui espionnent, des mains qui libèrent. Mais dans la séquence ultérieure de chasse, il n’y aura plus personne pour libérer : le massacre des lapins, dont la référence à Renoir est évidente, signe le triomphe de la mort, et il ne reste plus à la jeune fille qu’à se rouler dans l’herbe, à la manière de ce lapin agonisant, jusqu’à disparaître.
- Copyright Tamasa Distribution
Mouchette évolue dans un cadre miséreux, avec ses « galoches », ses vêtements troués, sa maison dans laquelle tout le monde cohabite et dort sur des matelas à même le sol. Compliquée encore par une mère malade, un père brutal, les soins au bébé, sa vie se résume à des actions automatiques que rien n’éclaire, à part de pauvres gestes de tendresse maladroits. La jeune fille ne peut rien partager et se renferme derrière un masque et de petites rébellions (jeter de la terre, dire merde) qui ne mènent à rien, à rien d’autre qu’à des marches sans fin et des répétitions – en ce sens le film donne souvent l’impression de faire du sur place tant les mêmes actions se reproduisent. Sans misérabilisme, Bresson décrit un monde de taiseux dans lequel la communication se résume à des gestes, des ordres ou des échanges d’argent, un monde déshumanisé, constamment limité par des portes, des fenêtres ou des barrières ; et pour celle qui prend les chemins de traverses, sœur en cela du braconnier, il n’y a pas d’issue. Rudoyée par la professeure cinglante, molestée par son père quand elle suit un jeune homme, violée, laissée seule par la mort de sa mère, elle vit un itinéraire beckettien de dépouillement sans fin. Mouchette, c’est celle qui va à rebours (en marche arrière dans les auto-tamponneuses), de côté (les chemins qui détournent), celle qui cherche désespérément un abri (sous la table, sous un arbre, dans un talus) mais en vain ; celle aussi qui chante faux, la fausse note dans le concert des hommes.
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Bien sûr, Bresson lui ménage un moment de joie, à la fête foraine, mais cette éclaircie rapide, ruinée par une claque paternelle, pèse peu en regard du nombre de fois où on la voit pleurer silencieusement. Mouchette, faute de mots, faute d’affection, est plus souvent dans la rage : à plusieurs reprises elle salit le sol en frottant ses pieds à terre ; d’une manière générale d’ailleurs, la salissure physique (et donc morale chez le janséniste Bresson) est un thème profond : jeter de la terre, casser un bol, c’est la révolte de Mouchette. Mais c’est elle aussi qui essuie Arsène pendant sa crise d’épilepsie et sa mère qui boit couchée, elle qui éponge la souffrance et l’accumule en elle. À l’instar d’une sainte laïque, elle se dévoue pour les autres, dont elle subit la violence jusqu’à l’insupportable.
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Ici encore, pour décrire cet itinéraire désespéré, le style ascétique du réalisateur fait merveille : ces visages obtus, ces paroles rares et atones, ces corps disloqués par les cadrages et le montage, ces mouvements mécaniques excellent à rendre compte d’une société privée de grâce, engoncée dans des égoïsmes et des rancœurs recuites. Malgré la violence, bien réelle, au lieu de l’indignation et de la révolte, c’est une sorte de désespoir qui se dégage du film, un désespoir qui prend de l’ampleur tout en conservant une grande simplicité : rien ici, évidemment, de grandiloquent ou d’appuyé. On est dans une marche suicidaire lente et stoïque, que rien ne peut arrêter : contrairement à l’oiseau du début, personne ne peut sauver Mouchette ; il semble même au contraire que chacun s’acharne, même dans la générosité affichée, à la mettre à l’écart. Et au final, pour le spectateur, cette expérience riche et profonde se pare, par la grâce d’une maîtrise sans équivalent, d’une manière de beauté sombre qui n’a pas vieilli. Cinquante ans plus tard, le destin de Mouchette nous touche et, par-delà le personnage, le monde dans lequel elle évolue, enregistré par une caméra impavide, n’a rien perdu de sa brutalité.
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