Le 20 février 2025
Longtemps invisible, cette libre adaptation de Dostoïevski est emblématique de l’art de Bresson, épuré et sans concessions. Peut-être son meilleur film des années 1970.


- Réalisateur : Robert Bresson
- Acteurs : Patrick Jouané, Isabelle Weingarten, Guillaume des Forêts, Jean-Maurice Monnoyer
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Italien
- Distributeur : Carlotta Films, MK2 Distribution, Les Films Imperia
- Durée : 1h23mn
- Reprise: 19 février 2025
- Date de sortie : 2 février 1972
- Festival : Cinémathèque de Nice, Festival de Cannes 1971, Festival de Berlin 1971, Festival de Cannes 2024

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– Reprise en version restaurée : 19 février 2025
Résumé : Une nuit, à Paris, Jacques sauve Marthe d’un saut tragique du Pont-Neuf. Alors qu’ils se livrent l’un à l’autre, ils décident de se revoir. Durant quatre soirées, Jacques réalise qu’il tombe profondément amoureux. Mais qu’en est-il des sentiments de Marthe à l’égard de Jacques ?
Critique : « La vie ne doit pas être rendue par le recopiage photographique de la vie, mais par les lois secrètes au milieu desquelles on sent se mouvoir les modèles », écrivait Bresson dans ses Notes sur le cinématographe (1975). Quatre nuits d’un rêveur, invisible depuis sa sortie (1972), et un peu méjugé en son temps, est l’une des œuvres les plus emblématiques de la démarche du cinéaste. Après Les anges du péché et Les dames du bois de Boulogne (1945), chefs-d’œuvre du cinéma français mais réalisés dans des conditions de production classiques, le réalisateur avait souhaité radicaliser son art par une épure, le recours à des « modèles bressonniens » (acteurs non professionnels à la voix monocorde) et une absence totale de fioritures esthétiques (montage sobre, musique utilisée avec parcimonie…). Quatre nuits d’un rêveur prolonge ainsi l’univers que le réalisateur avait déployé dans Journal d’un curé de campagne (1951) ou Pickpocket (1959), pour citer deux de ses films les prestigieux auprès de la cinéphile mondiale.
- © 2025 Carlotta Films
Après Une femme douce (1969), Bresson se frotte à nouveau à Dostoïevski en adaptant l’une de ses œuvres, qui avait déjà inspiré Luchino Visconti avec Nuits blanches (1958). Bresson amplifie le minimalisme déployé par le réalisateur italien. L’on passe des ponts de Venise au Pont-Neuf parisien, mais le film de Bresson évacue délibérément tout romanesque sentimental. Le jeune homme distingué au cœur de l’action, qui semble échappé du XIXe siècle, finira certes par avouer ses sentiments à cette amoureuse éconduite, qui attend en vain devant un pont l’homme avec lequel elle eut une brève aventure, un an auparavant. Les longs monologues de la nouvelle du romancier russe sont remplacés par des enregistrements sur magnétophone, et des silences suggestifs en disent plus que tout dialogue explicatif, quand le hors champ joue un rôle majeur, avec des plans de porte entrouverte où l’on aperçoit furtivement un corps se déplacer.
- © 2025 Carlotta Films
Visuellement, le film est fascinant, la photo de Pierre Lhomme mettant en valeur un Paris à la fois fantasmé et réel, stylisé mais ne fuyant pas les clichés touristiques (les bateaux mouches contemplés par les amoureux), certes avec la distanciation inhérente au cinéma de Bresson. Et le duo d’acteurs choisi se meut admirablement dans le dispositif : le charismatique Guillaume des Forêts est tout à fait plausible, tout comme la lumineuse Isabelle Weingarten, qui poursuivra une carrière d’actrice professionnelle, à l’instar des ex-modèles bressonniens Anne Wiazemsky et Dominique Sanda. En même temps, ils sont vierges de toute expérience dramatique, n’ayant pas à subir les souffrances ressenties par Renée Faure ou Maria Casarès, dirigées naguère par le cinéaste. Et l’on pourra se faire un plaisir de trouver les multiples correspondances avec d’autres films de Bresson, à l’image du duo mère-fille désargenté faisant écho à Élina Labourdette et Lucienne Bogaert dans Les dames du bois de Boulogne. Admiré par Paul Schrader, Wim Wenders, Jia Zhangke ou Sergei Loznitsa, Quatre nuits d’un rêveur est une pépite à redécouvrir et l’on ne peut qu’adhérer aux propos de Jean-Michel Frodon quand il déclare : « Il ne s’agit pas d’une restauration, mais d’une résurrection ».