Sept jours en mai
Le 14 janvier 2024
Habité d’une espèce de sérénité désespérée, le premier long-métrage de Mario Martone tente d’approcher le mystère du suicide d’un homme jadis engagé dans les luttes de son temps. C’est aussi, loin du pittoresque, une déclaration d’amour à la ville de Naples.
- Réalisateur : Mario Martone
- Acteurs : Toni Servillo, Anna Bonaiuto, Carlo Cecchi, Licia Maglietta , Antonio Neiwiller, Renato Carpentieri, Enzo Moscato
- Genre : Drame, Biopic, Historique, Politique, Drame historique
- Nationalité : Italien
- Durée : 1h48mn
- Titre original : Morte di un matematico napoletano
- Date de sortie : 14 septembre 1994
- Festival : Festival de Venise 1992
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Résumé : Évocation de la dernière semaine de la vie de Renato Caccioppoli, célèbre savant et mathématicien napolitain, qui mit fin à ses jours le 6 mai 1959.
Critique : Mario Martone, né à Naples en 1959, est sans doute un des plus grands metteurs en scène de théâtre italiens et son expérience scénique imprègne ses films quand elle n’en est pas le sujet même, comme dans l’admirable Teatro di guerra (1998).
C’est avec sa troupe napolitaine Teatri uniti, fondée en 1986, qu’il tourne en 1991 son premier long-métrage de fiction : Morte di un matematico napoletano. Grand prix du jury à Venise en 1992, ce film, qui détonne complétement dans le paysage désolé du cinéma italien de l’époque, révèle un authentique cinéaste, ce que confirmeront les suivants, longs (L’amore molesto - 1995) ou courts, mais aussi documentaires (Nella Napoli di Luca Giordano), ou enregistrements de spectacles scéniques (Rasoi - 1993).
Depuis L’odore del sangue (2003) et un documentaire sur Le Caravage en 2005, il s’était un peu éloigné du cinéma avant d’effectuer un retour remarqué avec la vaste fresque historique de Noi credevamo, présentée cette année à Venise et qu’on attend avec impatience sur nos écrans.
C’est une forme narrative à la fois elliptique et rigoureuse qu’il choisit pour évoquer les derniers jours de la vie de Renato Caccioppoli, petit fils de Bakounine, brillant mathématicien et professeur d’université réputé, ex militant anti-fasciste et compagnon de route du PCI, alcoolique et désillusionné, qui se suicide le 6 mai 1959 d’un coup de pistolet dans la nuque.
Martone s’attache de préférence aux moments creux, à ce qu’on pourrait appeler les parenthèses de l’action. Les sept jours correspondent chacun à un chapitre introduit par une indication de date : sept assemblages de fragments, scènes en apparence banales, parfois décalées (Renato, lors d’une réunion animée, se couchant sur la table pour se plonger dans la lecture et finalement s’endormir pendant que ses collègues continuent de débattre). Rien en tout cas qui laisse prise à une interprétation.
Le cinéaste se garde bien de combler les trous et la scène du suicide est totalement éludée. On n’apprendra la mort de Renato que par les cris de la servante découvrant le corps dans son appartement. Ces cris, parvenant du jardin au vieux marquis propriétaire du palais, font défaillir celui-ci. (Le rôle est tenu par le peintre Lucio Amelio, auquel Martone a consacré un documentaire). L’émotion, pour être indirecte, n’en est que plus forte.
Si l’inscription dans le climat politique de l’Italie de l’époque est précise et documentée, le film ne s’embarrasse pas de reconstitution historique et recourt volontiers à une forme de distanciation : lors de la longue séquence de l’enterrement, deux hommes au look très contemporain (c’est à dire 1990) discutent devant la tombe de l’acteur Carlo Pisacane, mort en 1974.
Il refuse aussi toute forme de psychologie, demandant à ses formidables acteurs une présence physique, pas une interprétation.
Avec son imperméable usé qu’il ne quitte pas un instant, Carlo Cecchi conserve ainsi une troublante opacité au personnage de Renato : calme, lucide, ne révélant rien de possibles tourments intérieurs. Mais les autres, incarnant tous ceux qui tentent vainement de le comprendre et de l’aider, ne sont pas moins impressionnants, à commencer par Vera Lombardi en Maria Bakunin, vieille dame en chaise roulante, désolée de ne plus pouvoir rien faire pour son neveu, et Antonio Neiviller dans le rôle de Don Simplicio, prêtre et mathématicien qui assiste Cacciopopoli pendant ses cours à l’université.
Sans oublier les non-professionnels, figures parfois juste entraperçues mais toujours saisissantes : passants s’arrêtant dans la rue, scènes de marché, femminelli devisant la nuit sur les marches d’une maison.
Car c’est Naples qui est le personnage principal du film. Une Naples débarrassée du pittoresque et dont on ne voit que des bribes, mais qui est incroyablement présente à tout moment et dont la photo mordorée de Luca Bigazzi célèbre la poignante beauté.
Habité par une espèce de sérénité désespérée, Morte di un matematico napoletano est empreint d’une grâce musicale : celle de la musique de chambre s’entend, pas celle des déferlements symphoniques.
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