Face à la mer
Le 23 juin 2010
Un documentaire d’une grande force incantatoire qui fait surgir la mémoire d’une ville et celle de deux paumés de l’existence qui ont trouvé ensemble la force de survivre.
- Réalisateur : Pietro Marcello
- Acteurs : Vincenzo Motta, Mary Monaco
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Italien
- Distributeur : Bellissima Films
- Durée : 1h15mn
- Date de sortie : 23 juin 2010
- Festival : Festival de Berlin 2010
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Résumé : Enzo a passé la moitié de sa vie derrière les barreaux d’une prison. Multirécidiviste, le gangster sicilien y a pourtant trouvé l’amour, et une forme de salut, grâce à la poésie. C’est son portrait que dessine Pietro Marcello, restitué par bribes, comme autant de morceaux d’une vie brisée, et celui de cette population marginale des quartiers génois de Croce Bianca, Madre Di Dio, Sottoripa, dédale de ruelles coupe-gorge. C’est aussi le récit d’une histoire d’amour hors du commun, nourrie de la longue attente d’un paradis simple où l’on peut enfin vivre ses moments perdus.
Critique : On ne rend pas tout à fait justice à La bocca del lupo en le rangeant hâtivement dans la catégorie du documentaire. Plus encore que dans l’œuvre précédente de Pietro Marcello, le très beau Il passagio della linea qui parcourait l’Italie au bord de trains régionaux en compagnie de passagers clandestins, le réel y est transfiguré par un regard et un travail poétique d’une intensité exceptionnelle.
Il est vrai que le matériau en lui-même est extrêmement fort. Le projet est né d’une commande de la Fondation Jésuite San Marcellino de Gênes qui assiste les sans-abris et les indigents de la ville. Mais Pietro Marcello n’évoque le travail de la fondation que de manière très elliptique lorsque le protagoniste rend visite à un vieux moine paralysé et aphasique qui l’a aidé autrefois.
Le cinéaste concentre son attention sur l’histoire d’amour hors du commun entre Enzo, le colosse sicilien poète qui a passé vingt-sept ans de sa vie en prison, et Mary, la transsexuelle qui s’est libérée de la toxicomanie pour le soutenir et l’attendre. Filmés dans le taudis qu’ils habitent avec leurs chiens, Ils nous racontent leur histoire, côte à côte face à la caméra, dans une scène très émouvante qui est le point culminant du film.
Auparavant, nous en avons entendu des bribes en voix off en voyant l’homme déambuler dans les ruelles étroites du vieux Gênes mal famé ou sur le port, qui n’est plus que l’ombre de ce qu’il fut un temps. Nous l’avons vu aussi retrouver, dans un bar minuscule, des amis que la vie n’a plus épargné que lui, et fredonner L’eau à la bouche de Gainsbourg au son du juke-box.
Autour du portrait de ce couple extraordinaire et du petit monde qui l’entoure, c’est Gênes, celle d’hier et celle d’aujourd’hui, qui ressurgit au gré d’une multitude d’images d’archives et de films familiaux de toutes époques, du début du vingtième siècle aux années 90, convoquant la mémoire de la ville et de ses habitants. Ces images récupérées, subtilement retravaillées, dialoguent avec les prises nouvelles, nous montrant le monument à Christophe Colomb ou de vastes usines et entrepôts désaffectés. La monteuse Sara Fgaier a su créer un assemblage puissamment suggestif.
Le film y acquiert une dimension quasi mythique, amplifiée par les plans de bord de mer qui l’ouvrent et le ponctuent, pendant qu’une voix lit un texte superbe de Franco Fortini évoquant les départs des immigrés pour le nouveau monde. Cette dimension poétique, solennelle sans jamais être emphatique, est accentuée par le recours, à certains moments, à la musique, en particulier celle, sublime, des Membra Jesu Nostri de Buxtehude dans l’interprétation poignante de Diego Fasolis et de son ensemble de Lugano.
Auréolé de prix dans divers festivals, La bocca del lupo est un ovni dans le paysage de la distribution cinématographique courante. On n’en sortira peut-être pas tout à fait indemne, mais il serait bien dommage de rater cette bouleversante et magnifique rencontre avec Enzo, Mary et la ville de Gênes.
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