Littérature étrangère
Le 21 août 2002
Une véhémente célébration de l’affranchissement.

- Auteur : Erri De Luca
- Collection : Du monde entier
- Editeur : Gallimard
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Italienne

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Dans l’intimité de son rouleau, parchemin de "récupe", le jeune héros d’Erri De Luca déroule sa vie comme il grandit. "Il m’a suffi d’arriver à treize ans et aussitôt j’ai eu ma place parmi les hommes, j’ai perdu la mauvaise odeur de l’enfance". Des odeurs, il n’en manque pas sur le mont des hommes de Naples.
L’adolescent s’écrit en italien quand il vit en napolitain. "L’italien est une langue sans salive, le napolitain au contraire garde un crachat dans la bouche qui fait bien tenir les mots entre eux." Justement, le romancier s’attèle avec sa simplicité désarçonnante à araser les hiérarchies entre le sacré et le vulgaire. Constammment, la fable côtoie la parabole, la réalité le mysticisme. De Luca joue sans cesse de cette juxtaposition du dialecte et de la langue, comme il jongle avec les motifs de Naples et de Jérusalem. Guère étonnant de la part d’un athée assumé, ouvrier révolutionnaire et pourtant fervent lecteur de l’Ecclésiaste, qui plus est traducteur autodidacte de la Bible en hébreu.
Dans cette Naples sanctifiée par ses héros quotidiens, l’apprenti menuisier apprend à croître autour de son "boumeran" lourd de symboles (arche, bosse ou sourire, allez savoir), sous les yeux aimants de Mast’Erri (un jeu de miroir avec l’auteur ?), de Maria, double féminin, adolescente fière, blessée et passionnée, et de Raffaniello, le cordonnier-sage, bossu-ailé. Ce livre est habité des petits qui sont l’âme du mont bâtard, une sorte de royaume de Dieu idéal, laïque et tonitruant. Le vendeur de peignes pour pouilleux ou celui de poulpes amoureux de ses bêtes côtoient le bon samaritain survivant de l’holocauste et ses récits imagés en yiddish. Celui qui s’appelait Daniel, ange du mal, quand il se terrait, est aujourd’hui surnommé Rafa, ange de Dieu. Et si l’on flotte parfois dans l’irréalité, c’est sans doute parce que pour De Luca "le miraculeux est le contrepoids de l’atroce".
Très touchant, ce lyrisme qui tient du dénuement. Montedidio célèbre avec une véhémence intérieure et vibrante l’émancipation, l’envol et l’affranchissement. Que l’on soit boomerang, ange ou tout simplement homme.
Erri De Luca, Montedidio (traduit de l’italien par Danièle Valin), Gallimard, coll. "Du Monde Entier", 2002, 206 pages, 15,50 €