Eclats de rire de Samuel Beckett
Le 28 juillet 2005
Le roman de la consécration pour Samuel Beckett.
- Auteur : Samuel Beckett
- Editeur : EDITIONS DE MINUIT
- Date de sortie : 1er novembre 1982
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Ils nous ont frappés au cœur, ils nous ont apporté "livre-sse" ce sont nos livres à vivre, nos livres de vie, nos livres à vie. Voyage d’été en douze étapes dans la "bouquintessence" des rédacteurs littéraires d’aVoir-aLire.
Résumé : " Je suis dans la chambre de ma mère ". Ainsi commençait la première page d’un roman publié à Paris en janvier 1951. L’auteur était un Irlandais inconnu qui écrivait en français. La presse saluait aussitôt l’apparition d’un grand écrivain : " Si l’on peut parler d’événement en littérature, voilà sans conteste un livre événement " (Jean Blanzat, le Figaro littéraire). L’avenir allait confirmer ce jugement. Dès l’année suivante paraissait, du même auteur, En attendant Godot, une pièce qui allait faire le tour du monde et même éclipser quelquefois ce premier roman. Et pourtant, Molloy reste un livre majeur dans l’œuvre de Samuel Beckett.
Drôle, sans image aliénante, construit simplement, Molloy raconte le destin d’êtres solitaires lancés à la poursuite les uns des autres. Des êtres qui n’ont même plus assez de désirs pour les rattacher à la vie et qui vivent pourtant. Le roman de la consécration pour Samuel Beckett.
Il y a d’abord une image, celle d’un éditeur d’une vingtaine d’année, Jérôme Lindon, éclatant de rire dans l’ascenseur de la station de métro La Motte-Picquet-Grenelle. Il est seul et se couvre de ridicule devant des voyageurs stupéfaits. Il vient de commencer un manuscrit intitulé Molloy qu’il a ramassé presque par hasard chez un ami. "C’est très bon", lui a-t-on promis. Très bon mais pas assez pour toutes les autres maisons et notamment celle de Pierre Bordas. Ce dernier s’était pourtant risqué à publier le premier roman de Samuel Beckett, Murphy, mais avait aussitôt été découragé par ses faibles ventes. D’ailleurs, même le grand Sam n’y croit plus et préfère "se tourner les pouces et tout ce qu’on peut bien se tourner" dans les cafés parisiens... Seule contre tous ou presque, Suzanne, sa femme, se débat néanmoins pour que Molloy mais aussi Malone meurt et L’innommable soient présents dans les librairies et que son mari, la quarantaine déprimée, sorte enfin de l’anonymat.
Lindon est donc enthousiaste mais les déboires ne vont pas s’arrêter là. Mauvais perdant, mécontent de voir l’un de ses poulains partir vers de meilleurs auspices, Bordas fait jouer une clause d’exclusivité. Les discussions dureront trois longues années avant de sceller la première collaboration entre les Editions de Minuit et l’auteur qui lui apportera le premier de ses deux prix Nobel. Malgré toutes ces mésaventures, Molloy connaît rapidement un grand succès critique et Beckett n’est plus considéré comme un sous James Joyce. Il n’a plus de raison de l’être. Renonçant à sa langue maternelle pour le français, à l’érudition et au perfectionnisme hérités de son prestigieux aîné, il trouve sa voie dans le dénuement, une métaphysique empruntée à Schopenhauer et des sarcasmes qui renvoient le rationalisme à ses chères études.
Construit comme un polar, le récit se décompose en deux monologues intérieurs. Le premier retrace les péripéties d’un vagabond, Molloy, qui part à la recherche de sa mère, le second celui d’un détective, Jacques Moran, chargé de retrouver cet étrange personnage. Ici, pas de désir, pas de corps en bonne santé, peu de dialogues. Tout est hésitation et vide. On ne sait pas reconnaître un vagin d’un trou du cul, on compte les pets, les cailloux que l’on suce et on a mal, toujours mal, mal au point de monter sur des bicyclettes et de pédaler avec une seule jambe. Il n’y a pas de descriptions ou alors on s’en excuse, juste des bruits, des sensations, des analogies, l’espace, le temps, le mouvement et une logique que l’on pousse jusqu’au bout. Vivre, tout simplement. Avant le Nouveau Roman et le degré zéro de la littérature, Beckett invente une prose sans image, autonome, impossible à illustrer, à transposer au cinéma même en moins bien ou au théâtre ou alors ce ne serait pas du théâtre. Le livre dans ce qu’il a de plus pur et d’inimitable.
Samuel Beckett, Molloy, paru en 1951, disponible aux Éditions de Minuit, coll. "Double", 273 pages, 7,70 €
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