Le 8 janvier 2019
Rien de neuf chez Michel Houellebecq. Ni sur la forme, ni sur le fond. Ras-le-bol.
- Auteur : Michel Houellebecq
- Editeur : Flammarion
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Date de sortie : 4 janvier 2019
- Plus d'informations : Le site officiel
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Date de parution : 04/01/2018
Résumé : « Mes croyances sont limitées, mais elles sont violentes. Je crois à la possibilité du royaume restreint. Je crois à l’amour » écrivait récemment Michel Houellebecq. Le narrateur de Sérotonine approuverait sans réserve. Son récit traverse une France qui piétine ses traditions, banalise ses villes, détruit ses campagnes au bord de la révolte. Il raconte sa vie d’ingénieur agronome, son amitié pour un aristocrate agriculteur (un inoubliable personnage de roman – son double inversé), l’échec des idéaux de leur jeunesse, l’espoir peut-être insensé de retrouver une femme perdue. Ce roman sur les ravages d’un monde sans bonté, sans solidarité, aux mutations devenues incontrôlables, est aussi un roman sur le remords et le regret.
Notre avis : C’est le destin de Michel Houellebecq : engendrer des polémiques qui, gageons-le, n’auront qu’une valeur documentaire ou anecdotique, lorsque le bruit se sera dissipé. Se souviendra-t-on qu’aux premiers jours de janvier 2019 le petit landerneau médiatique s’excitait sur un passage disconvenant pour la ville de Niort ? Dans son dernier roman, Sérotonine, le narrateur désigne la capitale des Deux-Sèvres comme "l’une des plus laides qu’il [lui] ait été donné de voir". Mais on remarque que la discursivité des outrés surpasse la consistance de la description. En effet, les termes mentionnés sont les seuls qu’on lira sur la cité.
Or, ce n’est pas la première fois qu’on relève pareille attaque. Chez Houellebecq, comme chez d’autres auteurs. Quelques habitants de la commune aux cent clochers se souviennent peut-être de ce passage dans Extension du domaine de la lutte : "Rouen a dû être une des plus belles villes de France ; mais maintenant tout est foutu. Tout est sale, crasseux, mal entretenu, gâché par la présence permanente des voitures...", etc, etc.
Une interprétation des personnages houllebecquiens n’a pas besoin que les offices de tourisme s’affolent dans une tentative auto-justifiante, dépliants à l’appui. Comment imaginer que la déprime globale de l’homme post-moderne, tel qu’il est mis en scène depuis les pérégrinations de Tisserand et de son acolyte narrateur, n’impacte pas son rapport à l’environnement dans ses détails les plus infimes ? Si quelques journalistes régionaux, enclins à raviver des querelles de clochemerle, s’excitent en désignant à la vindicte populaire l’hypothétique ingratitude de l’auteur, ils oublient que la fiction ne leur doit rien en échange, quand bien même on aurait été plus accueillants, ici ou là, vis-à-vis de Houellebecq ou de ses livres.
Pourtant, la polémique dit bien le rapport de l’opinion publique à celui qu’elle a, depuis vingt-cinq ans, désigné comme son portraitiste officiel : dès lors qu’un toponyme -Bagnoles-de-l’Orne, Coutances, Falaise- ou une célébrité -Yves Simon, Kev Adams, Christine Angot, Alain Finkielkraut- font l’objet d’une mention, bonne ou mauvaise, ils deviennent officiellement les référents auxquels le célèbre auteur a prêté une attention et sur lequel rejaillit une forme de consécration. La tempête dans un marais poitevin, qui a justifié quelques articles, a surtout permis à Niort de se faire une publicité à peu de frais et aux médias qui ont relaté l’événement de passer sous silence l’essentiel : la littérature. Et c’est bien le plus navrant : désormais, on n’attend plus de Houellebecq qu’il sorte de bons bouquins, mais qu’il livre systématiquement son opinion sur l’époque. Ou qu’il en soit le secrétaire le plus implacable : honnête ou pas, peu importe. Pourvu que le texte s’épanouisse dans la démesure qu’impose notre détestable modernité, donc dans le Majeur, qui, en la circonstance, acquiert un évident double sens. Pour y parvenir, il faut remplir le cahier des charges : grandes orgues qui retentissent sur des scènes à faire, scandaleuses si possibles, causalités disculpantes pour privilégier l’univoque -derrière le grand personnage cynique, il y a un coeur qui palpite-, cartographie précise d’une France wikipédiée.
Et ce n’est pas Sérotonine qui va arranger la situation. Après tout, son géniteur a une part de responsabilité en la circonstance. S’il n’exhibait pas le quantième avatar de l’homme dépressif moderne, avalé par le Moloch libéral, engoncé dans des fantasmes de plus en plus ennuyeux, qui tirent l’écriture par le tissu du slip, il ne permettrait pas à des critiques de Télérama ou Libération, de psychologiser l’affaire, en se délectant à l’avance du sombre miroir que l’écrivain tend à notre société, et autres clichés pour magazines people, comme s’il fallait valider le plus rance des clichés romantiques, façon Alfred -"Les plus désespérés sont les chants les plus beaux"-. La palme revenant évidemment aux Inrocks, dont le goût du morbido-romantique plébiscite le toc qui se donne pour de la transcendance.
Parce que cette fois-ci, on ne rigole plus du tout. Ce n’est pas qu’on se marrait tellement chez Houellebecq. Mais la cuvée 2019 oeuvre dans le religieux, en esquissant l’itinéraire d’une Passion : le protagoniste, Florent-Claude, 46 ans, ingénieur agronome, a jadis aimé. Intensément. C’est son péché originel, à expier, cela va de soi. Claire et Kate sont deux jeunes femmes dont le souvenir ne s’est jamais estompé, l’une demeure comme une présence encombrante, l’autre a filé comme l’éclair. Depuis, cet homme entre deux âges combine tous les aphorismes de Cioran sur l’existence, surtout s’attache à les incarner jusqu’à la caricature, en affectant des postures de supériorité, finalement proche des dandys anachorètes à la Baudelaire, dont les vers sont revendiqués comme un haut patronage. On imagine qu’en guise d’épitaphe, en sus de son prénom composé, le défunt aura droit au plus beau des hommages -"trop doué pour la vie", ou "trop sensible pour ce monde médiocre"-. Donc, peu importe la petite japonaise que Florent-Claude se traîne à Almeria. Réduite à ses orifices et à quelques vidéos zoophiles, elle occasionne des passages qu’on lit depuis vingt-cinq ans chez Houellebecq, l’oeil glissant sans surprise sur l’écriture faussement célinienne, où le sublime du subjonctif imparfait côtoie les plus plates trivialités -"bite", "chatte" et autres attrape-mouches à bourgeois, qu’on entendait jadis dans les dialogues de Bertrand Blier, avec cette même complaisance pour la formule qui signe son anarchiste de droite, tendance Audiard-.
Tout à son sujet et à ses constantes intentions démonstratives, l’auteur des Particules élémentaires oublie simplement que son soigneux travail de documentariste officiel du malaise occidental ne se disjoint pas d’une réflexion sur le style. Mais la phrase, ça n’a jamais été son truc à Michel : pas grave, puisque personne, une nouvelle fois, ne l’interrogera à ce sujet. Ce qui importe, c’est qu’au bout du compte, comme le dit pompeusement Jean Birnbaum, "Houellebecq nous aime et nous comprend" (on le voit, l’écrivain inspire des exégèses à sa hauteur). Non moins emphatique, David Caviglioli, dans le Nouvel Obs’, salue "la Marianne de notre effondrement". Michou, trésor national ? Assurément, et depuis longtemps. Qui peut écrire ce qu’il veut et sans doute n’importe comment, en imaginant toutes sortes de combinaisons syntaxiques possibles, pourvu que le flux des phrases recueille les alluvions de la modernité cafardeuse, sans s’interroger sur la lourdeur de ce que le texte énonce, sans imaginer que, condensant le malheur de son personnage dans une concision plus discrète, le récit n’en affaiblirait pas la tragédie intrinsèque.
Au lieu de quoi, il faut subir les pompeuses sentences contenues dans des fragments narratifs affreusement périphrastiques : "Je n’avais aucune vraie raison d’en partir, aucune autre que la honte, mais c’est déjà en soi une raison sérieuse, avouer son absolue solitude n’est pas si facile même aujourd’hui, et je me mis à songer à différentes destinations, la plus évidente était les monastères, nombreux sont ceux qui sont songent lors de ces journées de commémoration de la naissance du Sauveur à faire retour sur eux-mêmes".
Repérant dans cette longue concaténation l’occurrence des groupes prépositionnels, un autre écrivain -moins "Sauveur" que styliste- aurait regardé à deux fois avant de juger la phrase convenable, aurait sans doute allégé la charge émotive du propos, en nous dispensant de son commentaire.
Mais Houellebecq n’est pas de cette eau-là : bavard, conforme à ce que lui demande son lectorat, à ce que lui implore l’époque, il honore aisément son statut de pythie. Plus proche du comptoir que du temple de Delphes, toutefois. Les réflexions disséminées dans son récit n’ont rien à nous apprendre, sinon que, pour citer Huysmans, son rédacteur "s’essouffle à tourner la meule dans le même cercle" : "La vérité est qu’un seul être vous manque et tout est mort, le monde est mort et l’on est soi-même mort, ou bien transformé en figurine de céramique, et les autres aussi sont des figurines de céramique".
Qu’un plébiscite habille une telle médiocrité des vertus les plus cardinales en dit long sur le renoncement global de la critique vis-à-vis d’une certaine exigence littéraire.
Parution : 04-01-2019
Flammarion, Hors collection
352 pages - 139 x 210 mm
© 2018 Flammarion. Tous droits réservés.
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