#AllMen
Le 9 juin 2022
À la fois requiem funèbre et fantasmagorique, Men est surtout le récit de la libération du corps féminin dans un monde régi par un monstre aux milles visages : le male gaze. Nous voici devant le vrai film d’horreur post-MeToo.
- Réalisateur : Alex Garland
- Acteurs : Rory Kinnear, Sonoya Mizuno, Jessie Buckley, Gayle Rankin, Paapa Essiedu
- Genre : Science-fiction, Épouvante-horreur
- Nationalité : Britannique
- Distributeur : Metropolitan FilmExport
- Durée : 1h40mn
- Date télé : 10 septembre 2023 23:58
- Chaîne : Canal+
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement
- Date de sortie : 8 juin 2022
- Festival : Festival de Cannes 2022
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Résumé : Après avoir vécu un drame personnel, Harper décide de s’isoler dans la campagne anglaise, en espérant pouvoir s’y reconstruire. Mais une étrange présence dans les bois environnants semble la traquer. Ce qui n’est au départ qu’une crainte latente se transforme en cauchemar total, nourri par ses souvenirs et ses peurs les plus sombres.
Critique : Avec Ex Machina et Annihilation, Alex Garland a prouvé qu’il était un des auteurs les plus singuliers du thriller SF contemporain. On le retrouve ici avec Men, qui semblait être un melting pot d’horreur folklorique à mille lieux de ses expérimentations passées, à mi-chemin entre le délire cronenbergien et une épouvante à forte charge politique à la sauce de The Stepford Wives. Ce dernier partage d’ailleurs de nombreux points communs avec Men, ne serait-ce que dans sa critique à peine voilée de la domination patriarcale, à l’époque de l’Amérique des années 70 où les hommes cis hétéros blancs riches flippaient de voir leur pouvoir menacé par le Women’s Liberation Movement. Près de cinquante ans plus tard, rien n’a changé (ou presque) et le male gaze fait rage. Le male gaze, ou le regard masculin, est un terme anglophone désignant le fait que la culture dominante imposerait une perspective d’homme hétérosexuel prônant le principe de la Femme-objet. Ce fléau de nos sociétés occidentales se manifeste ici par une créature stalker qui scrute sans cesse le personnage de Harper, incarnée par Jessie Buckley, décidément une des actrices les plus impressionnantes de sa génération. Le personnage de Harper fait d’ailleurs étrangement écho à celui qu’elle incarnait dans le dernier film de Charlie Kaufman Je veux juste en finir, celui d’une femme prisonnière d’une relation toxique qui la rongeait peu à peu.
- Copyright Metropolitan FilmExport
Men est sans doute l’œuvre la plus frontale de Garland, voire la moins subtile, mais cette approche quelque peu "rentre dedans" démultiplie la puissance de l’œuvre qui s’élève alors vers des sommets de vertige rarement ressentis dans une salle de cinéma. Garland use de tous les procédés cinématographiques qu’il a à sa disposition, du cadre méticuleusement composé pour laisser entrevoir un mal invisible jusqu’au travail sonore, avec une bande-son particulièrement anxiogène signée Ben Salisbury et Geoff Barrow : tout confère à inspirer la perte de repères, une omniscience quasi satanique et de fait la décomposition de l’être. La traque de Harper se mue alors en une métaphore cruelle de la masculinité comme une construction sociale fondamentalement violente et déshumanisante. Le conjoint abusif qui harcèle sa femme au chantage pour qu’elle reste avec lui, le propriétaire du chalet et ses remarques déplacées sur l’hygiène féminine, le policier qui ne prend pas au sérieux la plainte déposée à l’encontre du stalker, le prêtre qui culpabilise Harper sur la mort de son ex-compagnon : Men se vit comme un dédale mortifère où le mâle contamine autant la sphère intime que publique et absorbe toutes les catégories sociales sans distinction de race ou de classe, en un seul et même visage, celui du male gaze. La séquence finale, d’une extrême violence symbolique, clôt assez magistralement le métrage sur un commentaire acerbe, sonnant davantage comme un avertissement : les hommes ne cesseront jamais d’être ce qu’ils sont, des progénitures réitérant les mêmes comportements et la même soif de perversion depuis des siècles et des siècles.
Men ajoute une pierre à l’édifice admirable de la filmographie d’Alex Garland en abordant les rapports de genre comme un cauchemar éveillé. À la différence d’Ex Machina, où l’intelligence artificielle Ava, d’apparence féminine, prisonnière d’une forteresse d’un Dieu technologique de pacotille, avait réussi à s’enfuir en usant du male gaze et ses attributs primaires, Men va plus loin et pose la question de la pérennité de cette violence masculine comme un mal héréditaire et intemporel.
– Festival de Cannes 2022 : Quinzaine des Réalisateurs
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