Dream Baby Dream
Le 16 avril 2024
Une nouvelle date dans la représentation de la guerre au cinéma avec un récit d’anticipation d’une puissance rare sur l’annihilation de la conscience humaine.
- Réalisateur : Alex Garland
- Acteurs : Kirsten Dunst, Wagner Moura, Nick Offerman, Karl Glusman, Stephen McKinley Henderson, Jesse Plemons, Cailee Spaeny
- Genre : Action, Thriller, Film de guerre, Road movie
- Distributeur : Metropolitan FilmExport
- Durée : 1h45mn
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement
- Date de sortie : 17 avril 2024
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Critique : Civil War marque une nouvelle date dans la représentation de la guerre au cinéma. Dans une Amérique à feu et à sang, le réalisateur filme l’abîme de la moralité à travers un groupe de photo-reporters devenus insensibles au monde et incapables de donner corps et sens à la violence. Alex Garland, scénariste prolifique obsédé par l’essence même de l’être humain, qu’il n’a de cesse d’interroger depuis son passage à la réalisation avec Ex Machina en 2014, revient avec ce qui semble être le projet d’une vie, ou du moins le dernier chapitre d’un grand geste de cinéma qu’on pourrait volontiers compléter avec Annihilation et sa série Devs : Civil War. Le long métrage s’inscrit dans un contexte politique brûlant et semble directement inspiré des évènement récents de l’histoire des États-Unis comprenant entre autres la manifestation « Unite the Right » à Charlottesville et l’attaque à la voiture-bélier, la montée grandissante de l’influence des mouvements néonazis et conspirationnistes, la tuerie de masse du festival de musique de Las Vegas, les incendies de forêt destructeurs sur la Côte Ouest entraînant l’exil de milliers d’habitants, et l’assaut du Capitole initié par Donald Trump que beaucoup ont qualifié à juste titre de tentative de coup d’État. Tous ces événements illustrent bien la polarisation profonde du pays, de plus en plus empêtré dans une guerre culturelle fratricide à l’issue fatale. Alex Garland puise dans ces faits d’actualité désespérants pour les transformer en motifs de cinéma purs. Il imagine un futur proche où les États-Unis seraient tombés dans une guerre civile bien réelle signifiant l’acmé d’un effondrement politique sans précédent ; avec d’une part un président despote et déconnecté de la réalité, enfermé dans sa tour d’ivoire, persuadé de mener une guerre sainte contre les États sécessionnistes, et de l’autre les États du Texas et de la Californie, déterminés à conquérir, quel que soit le sacrifice, Washington DC pour prendre le pouvoir et renverser ce qui reste du gouvernement. Dans ce monde au bord de l’apocalypse, où les suprémacistes blancs, filmés comme des hordes de morts-vivants, contrôlent la majeure partie du pays, un groupe de photo-reporters de guerre évolue tant bien que mal dans cette désolation.
- © 2024 Metropolitan Films. Tous droits réservés.
Il y a d’abord le personnage de Lee, interprété par Kirsten Dunst, photographe de guerre à l’aura légendaire, dénuée d’émotions et hantée par toute son expérience de reporter de terrain de par le monde, commençant à s’interroger sur sa propre éthique et l’essence même du pouvoir de l’image. En face se trouve Jessie, jeune ingénue fraichement débarquée, incarnée par Cailee Spaney, probablement le personnage le plus passionnant du film, agissant comme une boussole morale aux yeux de Lee. Ces deux personnages complémentaires vont connaître une évolution inversée. Tandis que Lee essaie de figurer la violence et d’exorciser son mal-être existentiel quant à sa responsabilité de journaliste, Jessie devient ce que Lee voulait fuir : quelqu’un d’insensible et d’hermétique à la compréhension du monde qui l’entoure, se fourvoyant dans une imagerie sensationnaliste et apolitique. Jessie n’a de cesse de s’enfoncer dans l’abîme tout du long de son odyssée mortifère. Elle qui était incapable de sortir son appareil photographique face à deux hommes torturés et pendus à l’arrière d’une station-service, devient peu à peu une figure mutante et déshumanisée, la caméra braquée contre son crâne, le regard du diaphragme ayant définitivement pris la place de l’œil humain. Le regard de Jessie devient le cœur névralgique du film. Son obsession ineffable semble être de capturer une vérité, d’atteindre une sorte de quintessence dans la mort et l’autodestruction, allant même jusqu’à risquer sa vie pour le perfect shot. D’ailleurs, Alex Garland choisit de représenter la guerre à travers le cliché photographique pris par le personnage, apparaissant dans le montage du film comme un moment subliminal suspendu dans le temps, presque éthéré, où le silence assourdissant peut parfois constituer un contraste saisissant avec la fusillade ayant lieu dans le réel. Tout le projet thématique du film réside dans cette confrontation de points de vue salvatrice entre les deux personnages symboles de Lee et Jessie : tout les pousse à enregistrer et documenter la guerre, sans comprendre ni rien saisir de ce qu’ils filment, et, osons aller plus loin, en brouillant les éléments qu’ils essaient de capturer sur le vif. Le long métrage devient à ce moment-ci un pur voyage sensoriel sur la ruine de l’âme et l’annihilation de l’individu.
- © 2024 Metropolitan Films. Tous droits réservés.
Civil War ne désigne pas uniquement cette nouvelle guerre de sécession, mais aussi un conflit plus intérieur, une guerre que notre espèce mène contre elle-même, contre notre propre humanité. Les personnages deviennent au gré du récit de plus en plus insensibles aux évènements macabres qui leur arrivent, ils absorbent leur douleur sans jamais remettre en question la nature même de leur quête. Garland met en scène la passivité du massacre avec une apparente décontraction et une esthétique fétichiste assumée. Citons en exemple la séquence où un régiment de soldats sécessionnistes commet un crime de guerre en réunissant dans un terrain vague trois soldats du camp ennemi qu’ils mitraillent à la sulfateuse avec un plaisir quasi orgasmique, le tout avec une musique hip-hop extradiégétique du groupe De La Soul. Cette étrange dissonance entre la violence d’un monde occidental à l’agonie et une dimension plus détachée, presque à la limite du déni, est assez perturbante. Cette même dissonance peut aussi symboliser la schizophrénie d’un pays en pleine crise identitaire où une petite bourgade bien sous tous rapports, pratiquement coupée du monde, vivant dans le plaisir matériel et faisant le choix d’ignorer le conflit armé, quand bien même elle est protégée par des tireurs d’élite se nichant sur les toits des bâtisses, peut côtoyer une guérilla urbaine assourdissante, un échange de missiles balistiques aériens entre camps ennemis dans la nuit noire filmé comme un tableau vivant ou bien encore les vestiges d’un marché de Noël mortifère régi par un sniper hors pair. Alex Garland enchaîne les moments d’anthologie et compose avec Civil War un exploit de cinéma rare, usant du genre du road movie pour mettre en exergue le spectre du fascisme, et essayer par la même occasion d’exorciser le démon originel de l’Amérique.
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