Petite gâterie colombienne
Le 17 avril 2014
Gabriel García Márquez n’apparaît jamais là où on l’attend ; après la publication de ses Mémoires (Vivre pour la raconter), c’est cette fois avec une parabole hédoniste qu’il nous surprend encore.
- Auteur : Gabriel García Márquez
- Editeur : Grasset
- Genre : Roman & fiction
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Il est bien temps de dresser le bilan de sa vie lorsque l’on s’apprête à souffler ses quatre-vingt-dix bougies. C’est à cet exercice que s’essaie le narrateur de Mémoire de mes putains tristes, mais la tentative tourne court. Cet ancien prof peu apprécié, aujourd’hui encore rédacteur médiocre d’une chronique dominicale dans le quotidien local, a laissé sa vie se dérouler mollement. Une vie marquée par l’absence de sentiments, mais pas de sexe : ce célibataire endurci s’enorgueillit de n’avoir connu que des amours tarifées. Il a arrêté d’en faire la liste à 514, il n’avait alors que cinquante ans. Pour son anniversaire, le vieux tigre souhaite s’offrir un dernier coup, "une folle nuit d’amour avec une adolescente vierge". C’est à la tenancière d’un bordel qu’il avait l’habitude de fréquenter qu’il s’adresse. Mais son petit cadeau de quatorze ans va faire naître chez lui l’impensable : les tourments de l’amour.
S’il est vrai, que García Márquez nous a habitués à une littérature plus imposante, tant en termes d’écriture que de récit, les confessions de ce nonagénaire prennent finalement la forme d’un conte quasi philosophique et c’est tant mieux. Car, les premières pages laissent craindre le pire : et si "Gabo" nous avait concocté les divagations empreintes de nostalgie d’un vieux libertin libidineux ? La déception serait immense car, de la part d’un prix Nobel, auteur d’un des plus magnifiques romans du XXe siècle, on attend qu’il nous surprenne. Alors oui, cette historiette n’offre pas la densité de Cent ans de solitude, mais elle recèle d’autres atouts.
A l’instar de certains bonbons, Mémoire de mes putains tristes a deux effets. Le premier, immédiat et intense : une bouffée de plaisir. Le roman se lit vite et se boulotte comme une gourmandise, en cachette : "Vite fait, bien fait !" Le second plus complexe est une réflexion sur la vie, la morale, les préjugés. Au-delà de la fable polissonne, García Márquez évoque sans détour des sujets tabous - jouissance, vieillesse, prostitution -, faisant fi du politiquement correct. Et après tout, il a bien raison, à son âge (soixante dix-huit ans), on s’en fout, seul compte ce que dicte le cœur. Et son personnage l’a enfin compris : "C’était enfin la vraie vie, mon cœur était sauf et j’étais condamné à mourir d’amour au terme d’une agonie de plaisir." Une véritable hygiène de vie à mettre en pratique avant d’atteindre l’âge du siècle.
Gabriel García Márquez, Mémoire de mes putains tristes (Memoria de mis putas tristes, traduit de l’espagnol (Colombie) par Annie Morvan), Grasset, 2005, 129 pages, 14 €
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