La vie, roman
Le 17 avril 2014
Déjouant les pièges de la mémoire, García Márquez raconte la fiction de ses années de formation. Plus qu’un document, une création littéraire qui apporte une pierre indispensable à l’œuvre du père du "réalisme magique".
- Auteur : Gabriel García Márquez
- Editeur : Grasset
- Genre : Roman & fiction
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"La vie n’est pas ce qu’on a vécu, mais ce dont on se souvient et coment on s’en souvient." D’emblée, avec cette phrase placée en exergue, García Márquez nous prévient. Avec le recul des ans, le flou des souvenirs, les choses perdues ou réinventées, cette vie-là, la sienne - dont la réalité est à peine tangible - il ne pourra la relater comme un catalogue de faits avérés. Conscient des pièges tendus par la mémoire, c’est uniquement sous l’angle de la fiction qu’il peut envisager de retracer ses jeunes années. Disons le tout net, le lecteur comblé ne peut qu’approuver cette prise de position liminaire... et applaudir au fil des pages.
C’est par un événement fondateur que García Márquez commence à nous "la raconter" (sa vie). Celui qui fera de lui un écrivain. Il noircissait le papier déjà, des poèmes, de la prose, alors qu’il part pour Ataracata avec sa mère, afin de vendre la maison de son enfance. Dans cettte bourgade sinistrée, ses premières esquisses littéraires perdent subitement tout leur sens lorsqu’il fait cette découverte primordiale : "L’émotion qui était enfouie en moi sans que je le sache et qui m’avait attendu, intacte, dans la maison de mes grands-parents, m’était indispensable." C’est ainsi qu’Ataaracta, dans la fièvre créatrice qui suivra ce voyage, deviendra Macondo et que Macondo, de fil en aiguille, deviendra bien des années plus tard, avec la parution de Cent ans de solitude, l’un des villages les plus célèbres de la géographie littéraire du XXe siècle.
Mais n’allons pas trop vite en besogne, la gloire et le Nobel seront pour le prochain tome, celui-ci se concentrant sur la jeunesse de Gabo (comme le surnomment aujourd’hui encore ses amis), sa famille impécunieuse et excentrique, ses études de droit menées sans enthousiasme. A travers ses vicissitudes personnelles, c’est le portrait d’une époque qu’il nous fait, brossé avec nostalgie et humour par celui qui tentait de survivre en travaillant dans divers organes de presse et qui prétendait qu’il n’est pas plus beau métier que celui de reporter. Nul doute qu’il le pense encore aujourd’hui : voir à ce sujet ses pages d’une puissance incroyable sur la violence qui a secoué la Colombie dans les années cinquante et dont il a été le témoin. Et puis, comme il s’agit de García Márquez, l’un des plus grands conteurs de ce siècle, le naturel de plume reprend vite le dessus pour imprimer de son sceau, celui du "réalisme magique", ces noirs moments d’histoire.
Anecdotes et réflexions s’enchaînent. Les souvenirs personnels sont malicieusement pimentés de petits frères attaquant des manuscrits au sécateur ou de perroguets cuits tout vifs dans le potage. La patte de Gabo est omniprésente, nous rendant proches l’enfant pas trop obéissant, le jeune homme prompt à chanter danser, draguer, l’étudiant désargenté, fumant comme un pompier, versifiant, lisant à corps perdu et passant des nuits blanches à refaire le monde et surtout à refaire son pays. La Colombie, creuset originel, terreau inséparable de l’inspiration. Pays retrouvé, expliqué, magnifié dans ses excès et ses paradoxes, dont l’âme est fouillée avec les mots de l’amour. Transparaît alors, lumineuse, l’empreinte indélébile qui façonnera l’œuvre à venir. Est-il nécessaire d’ajouter qu’aucun admirateur de García Márquez ne peut se permettre de passer à côté de ce texte indispensable, généreux, plein d’humanisme et absolument splendide ?
Gabriel García Márquez, Vivre pour la raconter (Vivir para contarla, traduit de l’espagnol (Colombie) par Annie Morvan), Grasset, 2003, 603 pages, 22 €
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